Les résultats d’une étude sur l’activation du réseau présentés aux ORP
Une quarantaine de conseillers des Offices régionaux de placement du canton de Vaud sont venus à l’Université de Lausanne le 14 novembre 2013 pour découvrir les premières analyses d’une enquête effectuée par une équipe du PRN LIVES auprès de 4648 chômeurs. Leurs réactions ont fortement intéressé les chercheurs, qui pourront ainsi formuler de nouvelles hypothèses sur l’importance des relations sociales pour retrouver du travail.
« Après deux minutes de discussion, vous nous avez déjà donné plusieurs pistes très intéressantes », s’est exclamé le Prof. Giuliano Bonoli quand les premières questions ont surgi lors de la présentation qu’avaient préparée les membres de l’IP4 du Pôle de recherche national LIVES à l’intention des conseillers des Offices régionaux de placement (ORP) du canton de Vaud. Cette réunion avait pour but de partager les premiers résultats d’une recherche lancée début 2012 auprès de 4648 personnes en recherche d’emploi afin de voir quelle est l’utilité de l’entourage sur la prise d’emploi.
Dans une première partie, Nicolas Turtschi a montré que si les contacts personnels sont de loin la première source d’information pour trouver du travail, comme le prouve le parcours professionnel passé des chômeurs interrogés, ces derniers privilégient d’abord internet, la presse et les offres spontanées pour chercher un nouvel emploi. Les personnes peu qualifiées sont celles qui activent le moins leur réseau, alors même que c’est dans leurs domaines d’activité que les relations ont le plus d’influence, bien davantage que parmi les cols blancs, contrairement à une idée reçue.
Contacts les plus efficaces
Anna von Ow et le Prof. Daniel Oesch ont ensuite expliqué ce paradoxe : un niveau de formation plus élevé augmente la chance de décrocher un poste et diminue la probabilité de le trouver par le biais de ses relations. L’utilisation du réseau compense donc en partie des désavantages liés à l’éducation et à la nationalité. Les contacts les plus efficaces sont d’anciens collègues, intégrés dans le marché du travail, oeuvrant dans la même branche et jouissant d’une position hiérarchique. Le réseau est ainsi décisif pour les chômeurs étrangers peu formés, actifs dans les secteurs de la construction, de l’agriculture et de la restauration, où les processus d’engagement sont moins formalisés.
A ce stade, plusieurs conseillers ORP ont déjà réagi : « Avez-vous comparé la durée du chômage entre les diplômés de grandes écoles et les non qualifiés ? » ; « Peut-être les ressortissants de l’Union européenne sont-ils plus motivés à retrouver du travail pour garder leur permis ! » ; « Peut-être que les employeurs favorisent les étrangers car ceux-ci acceptent de plus bas salaires… » ; « Les questionnaires ont été remplis en bonne partie pendant les mois d’hiver, au moment où les chômeurs de la construction sont en forte surreprésentation » ; « On sait que dans certaines cultures la notion de solidarité est très forte et que les chefs engageront plus facilement quelqu’un de la même origine. »
Bilan d’une expérience
Après cette première discussion, le Prof. Rafael Lalive a enchaîné sur l’expérience menée par l’équipe avec les participants à l’enquête : sur les 4648 personnes inscrites au chômage entre février et avril 2012, une moitié a été sensibilisée spécifiquement à l’importance d’activer son réseau social, ce qui rallongeait la traditionnelle séance d’information collective sur l’assurance-chômage de quinze minutes.
Avant de livrer les résultats de la comparaison, le chercheur a demandé aux conseillers ORP s’ils pensaient que cette mesure avait eu un impact sur une prise ultérieure d’emploi. Le verdict a été mitigé : certains conseillers ont réagi en soulignant qu’ils abordaient de toute façon la question du réseau dans leur présentation habituelle, et que d’autre part il est bien connu que les gens ne retiennent que 10 à 25% des informations données lors d’une séance.
Et en effet, l’expérience a montré un effet assez peu sensible de la mesure sur la prise d’emploi. Seules les femmes, les personnes ayant une bonne employabilité et celles au bénéfice d’une éducation tertiaire montrent une différence entre celles qui ont reçu la sensibilisation et celles qui ont juste assisté à la présentation ordinaire. Cela équivaut à un impact positif sur les profils plus les plus coopératifs, la mesure étant insuffisante pour les profils plus éloignés du marché du travail, ceux justement qui utilisent déjà peu leur réseau et pour qui il est prouvé que les contacts comptent le plus.
Réactions des conseillers ORP
A nouveau, le débat qui a suivi a été plutôt nourri. « Les hommes connaissent déjà l’importance du réseau, ils ont davantage de contacts et plus de culot pour les solliciter », a affirmé un conseiller ORP, contredisant les chercheurs qui pensaient au contraire que les hommes auraient plus tendance à dissimuler leur statut de chômeur afin de ne pas écorner leur image de principal soutien de famille.
Une autre conseillère ORP a soulevé un autre problème, celui des seniors qui ont de la peine à retrouver un emploi, et pour qui l’activation du réseau a la connotation négative du « piston ». « Tout dépend aussi de la région, a encore dit un autre : si le marché du travail est tendu, les contacts personnels compteront moins ! »
En conclusion, les chercheurs ont relevé qu’il est probable que pour certains publics, une simple information ne suffise pas, et qu’il faudrait certainement développer des mesures adaptées aux publics concernés, en tenant compte des spécificités des différents segments du marché du travail.
Le Prof. Bonoli a annoncé qu’une deuxième ligne de recherche démarrerait en 2015, portant cette fois-ci sur les employeurs. D’ici là, la valorisation des premières données va continuer. « Quand nous les présentons à nos collègues en Europe, nous pouvons voir l’envie qu’elles suscitent », a-t-il affirmé en remerciant vivement les conseillers ORP de leur collaboration essentielle pour cette étude.