Chercheurs et praticiens de l’insertion des jeunes testent une formule d’échange inédite
Le 4 novembre 2013 à Lausanne, un forum a réuni des universitaires du Pôle de recherche national LIVES et des représentants des administrations vaudoise et fribourgeoise autour de la problématique des jeunes adultes à l’aide sociale. Cet échange informel visait à croiser les regards, sans impératif de résultat mais avec la volonté de mieux se connaître entre milieux concernés par les mêmes questions et pourtant fortement éloignés dans la pratique.
« Multi-dimensionnalité de la vulnérabilité » : ces mots sont revenus souvent, le lundi 4 novembre au Bâtiment administratif de la Pontaise, pour parler des difficultés que rencontrent les jeunes adultes au moment d’intégrer le monde du travail. Chercheurs en sciences sociales et responsables de service ou de programme d’insertion – en tout une vingtaine de personnes - ont débattu pendant un après-midi des défis de la prise en charge de ces 18-25 ans qui cumulent les désavantages.
Quelques portraits de jeunes en rupture ont été esquissés en début de séance par Nicole Andrey, responsable du projet « Scenic Adventure », une mesure d’insertion socio-professionnelle dans le canton de Vaud visant à remobiliser les participants grâce à la réalisation d’une production artistique. Beaucoup de ces jeunes sont marqués par des problèmes familiaux, une faible estime d’eux-mêmes, des soucis de logement et une mauvaise hygiène de vie, a-t-elle décrit. La responsable a souligné l’importance de tenir sur la distance et de se méfier de l’illusion du résultat immédiat – tant pour les jeunes que pour leurs encadrants.
Contributions scientifiques
Trois courtes présentations de chercheurs du Pôle de recherche national LIVES ont suivi. Felix Bühlmann (IP5) a fait part de son intérêt à étudier les parcours de vie de cette population et à problématiser des mesures d’insertion existantes en mettant à profit les avancées méthodologiques permises par l’analyse de séquences, une manière de tirer des typologies à partir de trajectoires au départ très variées, afin de mieux comprendre comment certains s’en sortent mieux que d’autres.
Puis Emilie Rosenstein (IP5) a résumé les conclusions d’une étude ayant porté sur le programme FORJAD du canton de Vaud, réalisée avec Jean-Michel Bonvin et Maël Dif-Pradelier. Recourant au concept des capabilités, elle a insisté sur le besoin d’appropriation par les jeunes des mesures qui leur sont proposées, en soulignant deux dimensions décisives : l’individualisation de l’accompagnement et la temporalité, ce qui signifie de mettre en place des projets prenant en compte les trajectoires biographiques et le rythme de chacun. Elle a terminé en posant la question de « l’après » des mesures, en demandant ce que l’Etat pourrait faire pour créer des opportunités sur le marché du travail, pour que les jeunes ne se heurtent pas à la désillusion.
Enfin Christian Staerklé (IP9) a abordé une perspective plus psychosociale de l’intégration professionnelle en s’intéressant au besoin de reconnaissance des jeunes – par leurs pairs, par leur famille et par leur environnement - ainsi qu’à l’importance de l’identité et des appartenances sociales. Il a évoqué une recherche menée par son équipe, qui a constaté l’effet bénéfique des définitions collectives du soi sur le sentiment d’efficacité, notamment parmi les jeunes issus de l’immigration, conclusion qui pourrait inspirer les programmes d’aide à l’insertion professionnelle.
Un débat animé
Dans le débat qui a suivi, François Mollard, chef du Service de l’action sociale dans le canton de Fribourg, a déclaré qu’il voyait dans les objets de la recherche des atouts supplémentaires pour défendre les projets en faveur des jeunes à l’aide sociale. A ses côtés, Jean-Claude Simonet, conseiller scientifique dans le même service, est intervenu plusieurs fois pour relever les nombreux défis posés par l’insertion de cette population, et la nécessité de diversifier les approches pour répondre à tous les besoins.
Du côté vaudois, le Service d’aide et de prévoyance sociales était notamment représenté par sa cheffe de service, Françoise Jaques, et Antonello Spagnolo, chef de la section Aide et insertion sociales. Ce dernier a posé plusieurs questions de fond : par exemple, comment permettre aux bénéficiaires de s’affranchir des prestations fournies par le secteur public ? Jusqu’où va la responsabilité de l’Etat vis-à-vis de ces personnes quand leur intégration professionnelle ne réussit pas pour des raisons inhérentes au marché du travail ?
« Accepter que certains soient sacrifiés n’est pas facile », a renchéri Jean-Claude Simonet. Pour certains, la priorité doit être de rapprocher les jeunes des réalités du monde du travail, la prise d’emploi étant le véritable moteur. Beaucoup constatent cependant que le plein emploi est une illusion. D’autres encore comparent le travail à une véritable violence pour des personnes déjà fragiles, rappelant qu’il ne garantit pas forcément à lui seul l’indépendance financière. Et comment mesurer le succès quand les difficultés d’insertion professionnelle s’accompagnent d’autres problèmes (addictions, etc.) ?
Des questions à approfondir
La discussion, de plus en plus animée, n’a débouché sur aucune solution miracle. Les chercheurs, parmi lesquels Dario Spini, directeur du PRN LIVES, ont plaidé pour une plus grande collaboration entre l’administration et le monde scientifique en vue de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans les processus d’exclusion et de mobilité sociale. Les praticiens se sont quant à eux déclarés intéressés à mieux connaître grâce à la recherche ce que les jeunes ayant bénéficié de mesures deviennent à moyen terme, s’ils arrivent à maintenir les compétences acquises, quels sont les résultats concrets des programmes existants.
Les participants se sont quittés en concluant que de futures rencontres pourraient servir à approfondir des questions précises en petits groupes, en intégrant aussi d’autres acteurs, comme des représentants des employeurs et de la société civile, et en élargissant l’approche à d’autres étapes du parcours de vie, sachant que les problèmes ne surgissent pas d’un coup à 18 ans et ne se terminent pas simplement à 25.