Les différences générationnelles au centre du nouveau "Rapport social"
Plusieurs chercheurs LIVES ont été impliqués sous l’égide du Centre de compétences suisse en sciences sociales FORS dans l’édition et la rédaction de cette quatrième édition inaugurée le 23 octobre 2012 en allemand et en français.
Il n’y a pas de conflit ouvert mais d’énormes différences culturelles entre les générations, avec cependant de solides formes de solidarités intergénérationnelles à l’intérieur de la famille. Tel est le constat du Rapport social 2012, vaste analyse conduite par le Centre de compétences suisse en sciences sociales FORS en collaboration avec plusieurs chercheurs LIVES. Une conférence de presse pour vernir cet ouvrage était organisée le mardi 23 octobre à Berne avec les éditeurs par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, qui finance le projet.
Le périodique Rapport social sort tous les quatre ans depuis 2000. Cette publication, lancée à l’origine par Christian Suter, professeur de sociologie à l’Université de Neuchâtel, a depuis été institutionnalisée par FORS, avec une thématique différente à chaque édition.
Un débat qui perdure
Dans un pays où la part des moins de 20 ans est l’une des plus basses d’Europe, la question des générations s’est imposée, et poursuit ainsi la réflexion du Programme national de recherche (PNR) 52, qui avait conclu en 2008 que les conflits entre générations sont quasiment inexistants, alors qu’ils sont pourtant vivement débattus.
Parmi les éditeurs du Rapport social 2012, Felix Bühlmann, Peter Farago, François Höpflinger, Dominique Joye, et Pasqualina Perrig-Chiello sont membres de LIVES, alors que René Levy fait partie de son Conseil consultatif. Ils ont rédigé une partie des articles de l’ouvrage et en ont supervisé le reste avec Christian Suter et Céline Schmid Botkine, de FORS, laquelle étant éditrice responsable avec Felix Bühlmann.
Différences de comportement
Travaillant sur la base de données et d’indicateurs provenant de grandes enquêtes suisses et internationales, notamment transversales et longitudinales, les auteurs ont observé les différences de comportements entre trois classes d’âge (18-39, 40-59, 60 et plus) dans les différentes dimensions de la société (répartition des biens sociaux, diversité culturelle, intégration sociale, régulation politique, société et environnement).
Les chercheurs ont constaté que les liens intergénérationnels sont de nos jours absents des relations amicales ou professionnelles, mais persistent de manière très forte dans la famille, où se côtoient plus de générations que dans le passé. La famille contemporaine est en effet moins horizontale (moins de frères, sœurs, cousins) mais plus verticale (plus de grands-parents et d’arrière-grands-parents présents) que par le passé.
Solidarité intergénérationnelle
La solidarité intergénérationnelle se vit ainsi exclusivement au sein du cercle familial. Beaucoup d’adultes s’occupent aujourd’hui soit d’un parent âgé, soit de petits-enfants, voire des deux. Au niveau matériel et toujours à l’intérieur de la parenté, on trouve une grande place pour les transferts financiers entre les générations, à travers les dons et les héritages. Mais en dehors de la famille, peu de relations existent entre les âges, séparés par des fossés culturels, qu’il s’agisse de croyance religieuse, de goûts musicaux ou de pratique sportive, par exemple.
Les surprises
Certaines constations surprennent. Ainsi, contrairement à une idée reçue, les 18-39 ans ne s’intéressent pas moins au débat politique que leurs aînés. Les jeunes sont même plus actifs que la génération de leurs parents ne l’était dans les années 70, et cette participation prend davantage des formes alternatives, marquées par leur centration thématique étroite, leur caractère informel, leur caractère court-terme et le mélange entre vie privée et politique.
Autre curiosité, si les jeunes sont davantage préoccupés par les questions d’environnement, leurs comportements sont cependant moins verts que ceux des seniors. Il y a là un « paradoxe générationnel entre la pensée et l’action », écrivent les auteurs, qui s’explique d’une part par la mobilité qu’impose la modernité, et de l’autre par la socialisation propre à la génération des plus de 60 ans, davantage dictée par l’économie que par l’écologie.
Jeunes et vieux méfiants
On peut encore citer la question de la méfiance entre les générations. Si les seniors se disent plus inquiets en Suisse qu’ailleurs de la menace à l’ordre public que pourraient poser les jeunes, ces derniers quant à eux dénoncent les injustices et le manque de respect dont ils s’estiment victimes, notamment dans l’accès à l’emploi. La situation des plus âgés n’est pourtant guère plus enviable dans le monde du travail, mais l’idée prévaut que les seniors sont mieux protégés par l’Etat-Providence, puisqu’ils toucheront bientôt leur retraite.
Les auteurs concluent sur le fait que « certaines fonctions essentielles de notre société – telles que la transmission du savoir ou l’aide réciproque en période de vulnérabilité et de dépendance – ne peuvent être remplies que si l’échange entre les générations se fait et perdure. » Ils relèvent cependant que « la solidarité entre générations est (aussi) une solidarité de classes » et que « le genre, la formation ou le revenu sont souvent plus importants que notre âge ou notre appartenance à une génération ». L’analyse ne peut donc pas s’abstraire de ces autres facteurs, qui s’inscrivent dans une « logique cumulative ou compensatoire ».
Felix Bühlmann, Céline Schmid Botkine, Peter Farago, François Höpflinger, Dominique Joye, René Levy, Pasqualina Perrig-Chiello, Christian Suter (éds): Rapport social 2012: Générations en jeu. Editions Seismo, Zurich 2012, 332 p.