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Enquête sur les multiples visages de la monoparentalité en Suisse

Des chercheurs de LIVES ont démarré en juillet 2012 une étude qualitative sur une réalité devenue courante mais encore peu analysée. Sur la base d’une quarantaine d’entretiens, l’équipe composée de deux sociologues et d’une démographe entend remettre en question quelques clichés sur les mères et les pères célibataires.

Dans une ville comme Genève, un foyer sur cinq est composé d’un parent sans partenaire face à un ou plusieurs enfants. «Il ne s’agit pas que de mères seules misérables et déprimées», avance Cornelia Hummel, maître d’enseignement et de recherche au Département de sociologie de l’Université de Genève et chercheuse au Pôle de recherche national LIVES. «A l’inverse, il est possible de connaître une véritable précarité en disposant d’une formation supérieure», complète son collègue Nasser Tafferant, chercheur senior à l’Université de Lausanne.

Cette hétérogénéité de situations est apparue dès les premiers entretiens que les deux sociologues ont menés depuis le mois de juillet 2012, prémisses d’une étude qui se poursuivra jusqu’à la mi 2013, en collaboration avec la professeure en démographie et parcours de vie Laura Bernardi, vice-directrice du PRN LIVES.

Stigmatisation

L’équipe s’intéresse non seulement aux conditions objectives et matérielles de la monoparentalité au quotidien, mais également aux représentations liées à ce statut, qu’il soit choisi ou subi. Lors des interviews, les chercheurs abordent l’histoire du couple et de sa séparation, le rôle de l’ex-conjoint-e dans l’éducation des enfants, les attentes envers l’entourage et la société, l’attitude face au célibat. «Certaines mamans élevant seules leurs enfants nous ont fait part d’un sentiment de stigmatisation qui les accable, soit au travers d’institutions, soit dans le voisinage», notent les sociologues.

Si l’échec du projet de couple semble affecter la majorité des personnes déjà interrogées, certaines femmes ne manquent pas de relever le surplus de liberté et de vie sociale que la séparation a entraîné, pour autant que le père assume une partie de la garde. Des pères qui peuvent même parfois être «envahissants», à force de vouloir s’impliquer, mentionnent certaines… Autant de déclarations allant à l’encontre de l’idée reçue selon laquelle monoparentalité signifie isolement.

Mais en creusant un peu, on s’aperçoit que ces familles modernes conservent des traces de division genrée du travail domestique: garde alternée ne signifie pas toujours lessive alternée, et bien des enfants reviennent de chez papa la valise chargée de linge sale.

Et les enfants dans tout ça? «Les parents de familles monoparentales sont soumis en permanence à des questions sur l’état psychologique de leur(s) enfant(s). Nous n’insistons donc pas trop sur ce point. Les gens ont déjà suffisamment tendance à nous confondre avec des psychologues et nous ne sommes pas là pour ça», explique Cornelia Hummel. Les chercheurs tentent davantage de percer l’homme ou la femme qui existe sous le rôle de père ou de mère, comment cette identité évolue, et comment le réseau qui l’entoure se modifie.

«Pas des victimes»

Dans bien des cas, les chercheurs ont constaté à quel point la vulnérabilité ressentie par les personnes interrogées pouvait être construite par le regard des autres. Sans nier le manque de ressources – en argent ou en temps – qui pèse sur bien des familles monoparentales, l’équipe a surtout été frappée par le courage et la dignité de ces parents qui assument leur état et évitent au maximum de peser sur la communauté en sollicitant de l’aide. Comme le relève Nasser Tafferant, «il y a chez beaucoup des femmes que nous avons entendues une lutte symbolique pour l’autonomie et la reconnaissance de leur statut. Elles ne veulent pas apparaître comme des victimes».

L’équipe espère suivre les familles rencontrées sur la durée afin d'observer leur évolution. Les personnes qui seront d’accord pourront même être intégrées à l’échantillon de la future vague du Panel suisse de ménages qui récolte des données longitudinales sur différents types de foyers en Suisse.