© Simone Haug: self-portrait

Simone Haug : « Je suis fascinée par le potentiel de surréalisme dans le réel »

La photographe bernoise a réalisé un travail de haute précision avec cinq artistes de cirque à la retraite pour illustrer la vulnérabilité et la résilience, thèmes du projet de collaboration entre le Pôle de recherche national LIVES et les Journées photographiques de Bienne. Ses images poétiques sont au cœur d’une exposition et d’un livre à découvrir très prochainement.

Toute en finesse et en délicatesse, Simone Haug ressemble à ses photographies. Elle paraît effleurer les choses, mais les cerne et les souligne avec une justesse rare, soutenue par un regard plein d’espièglerie. Son dernier travail, intitulé Acrobates !, sera exposé lors des Journées photographiques de Bienne du 29 avril au 22 mai 2016. Il a été réalisé dans le cadre d’un mandat lancé par le PRN LIVES et sera également visible dans l’ouvrage Downs and Ups qui accompagne l’exposition.

Bienne est sa ville d’adoption : « J’ai toujours aimé son atmosphère décontractée. Quand j’étais encore à l’école, à Berne, je prenais le train en secret pour Bienne et venais m’installer dans un café près de la gare. C’est une ville de possibilités, à l’esprit sincère, chaleureux et ouvert. C’est quelque chose que je ressens très fort quand je me promène ici - une culture au quotidien. Même les caissières dans les supermarchés sont différentes à Bienne par rapport à Berne, où il y a plus d’étiquettes, le poids de la culture officielle. Ici c’est plus informel et direct. »

C’est dire si elle connaît déjà le festival dédié à la photographie qui est organisé chaque année à Bienne depuis vingt ans. Elle y avait d’ailleurs déjà exposé avec une amie, en 2006, une série intitulée Asile entre lieux et temps. Mais elle est encore loin de se considérer comme une photographe établie, même si la trentenaire affirme que ça marche de mieux en mieux pour elle, car les commandes arrivent. Pour vivre, elle fait également des transcriptions d’entretiens pour des sociologues, une tâche qu’elle apprécie : « Je n’ai pas besoin de faire les analyses, mais ça me nourrit », explique-t-elle.

Son projet photographique sur les artistes de cirques à la retraite met en scène cinq personnages, dont un couple, qu’elle a approchés individuellement au cours des six derniers mois de 2015. Elle y saisit avec une grande habileté la fragilité et la force de ces seniors ayant toujours la tête dans les étoiles malgré un physique diminué. Rencontre avec l’auteure de ces images originales et sensibles.

Comment êtes-vous venue à la photographie ?

J’ai toujours aimé regarder. Dans ma famille l'image était très présente. La photographie me paraissait donc l'outil idéal pour produire des images. J'ai appris assez jeune à me servir d'un appareil photo, et cet instrument est devenu pour moi une sorte de boussole pour découvrir le monde et mon entourage. A partir de l’adolescence, cela a pris de plus en plus de place dans ma vie, et je suis entrée dans une association d’autodidactes qui avait été créée à Zurich dans les années 80. Nous invitions des photographes confirmés, mais le principe de base était l’auto-organisation. Ensuite j’ai fait des études de sociologie, mais ce qui me tenait vraiment à cœur, c’était la photo. Alors j’ai décidé de poursuivre cette voie en entrant aux Beaux-Arts à Hambourg. Je ne voulais pas faire une école de photographie au sens strict, car je voulais me protéger du formatage. J’aime être libre, et je trouvais mieux de nourrir mon développement de manière différente.

Que reste-t-il de vos études de sociologie ?

Je pense qu’inconsciemment, ça m’influence encore parfois. Cela m’a appris à considérer plusieurs points de vue, et apporté des bases théoriques. Mais ce qui me dérange dans cette discipline, ce sont les affirmations. C’est pareil en photographie : je refuse tout ce qui catégorise. Je ne me vois pas comme une documentariste qui propose un message final. Dans la sociologie, j’aimais la matière mais pas la manière. J’ai donc tenté de m’en libérer.

Qu’est-ce qu’une bonne photo selon vous ?

Pour moi c’est une image qui laisse beaucoup de liberté. Elle doit donner juste assez d’information sur le contexte pour offrir ensuite beaucoup d’espace à l’interprétation. J’aime par dessus tout le mélange et l'équilibre entre l’abstraction d’une part, et un minimum nécessaire de points de repère concrets d’autre part. Je suis fascinée par le potentiel de surréalisme dans le réel. Et je trouve que la photographie permet vraiment de montrer cela. De plus, le métier de photographe me permet de partager des choses avec les gens et de leur rendre quelque chose en retour, une forme de reconnaissance ; cela compte aussi dans mon intérêt pour l’image. Un travail qui m'impressionne, par exemple, c'est la série Libuna d’Iren Stehli, qui a suivi une femme tout au long de sa vie. C’est une des forces de la photographie : saisir la dimension du temps qui passe.

Comment avez-vous travaillé pour ce projet sur les acrobates retraités ?

J’avais déjà une fascination pour le cirque, un monde d'illusions où les limites physiques sont sans cesse dépassées, mais c’est l’appel d’offre de LIVES et des Journées photographiques de Bienne qui m’a donné l’idée de prendre contact avec d’anciens acrobates. J’adore entrer ainsi dans de nouveaux mondes, faire des rencontres. En général je ne fais pas de mises en scène. Mais pour les artistes, la scène est une habitude. Je voulais travailler avec eux, faire quelque chose ensemble. Alors les mises en scène sont venues naturellement, en discutant avec eux. Le temps pour réaliser cela n’était pas énorme, mais je suis heureuse d’avoir trouvé une forme qui convient à ces personnes et à leur situation. J’aime le côté mystérieux de ces images. Cela représente ce que les artistes de cirque aiment faire : créer du mystère pour le public. Quant à l’utilisation du noir et blanc pour plusieurs images, c’est une manière pour moi de rester dans quelque chose d’abstrait. Cela éveille l’imagination, car on est moins connecté au réel. Je trouve aussi que le noir et blanc souligne bien la notion d’équilibre qui est au cœur du sujet.

Comment décririez-vous la résilience dont font preuve vos protagonistes ?

Je vois de la résilience dans leur attitude au quotidien. Les artistes de cirque ont connu un parcours professionnel absolu, et même à la retraite ils restent des acrobates dans leur tête. Cela se voit par exemple quand il s’agit de changer une ampoule. Peu de femmes retraitées monteraient sur les épaules de leur mari pour faire ça ! Ils ont toujours envie de jouer, de se mettre en scène. Les cinq personnes que j’ai rencontrées sont toutes en paix avec leur carrière passée. Chacun a fait ce qu’il pouvait. Tous sont d’accord de dire qu’il s’agissait de trouver le bon moment pour arrêter. Chaque histoire est différente, mais tous ont dû affronter des difficultés et ont fait preuve de force pour surmonter les situations.

De quoi êtes-vous la plus fière dans ce travail sur les acrobates ?

De la projection qui sera montrée dans l’exposition pendant les Journées photographiques. J’aime l’idée de créer un petit spectacle. Il s’agit d’un montage de photos qui défilent au son d’un tambour japonais. C’est la première fois que j’expose ce type de procédé. Je l’avais déjà fait dans un autre travail, mais je ne l’ai jamais montré.

>> La page consacrée à Simone Haug sur le site du festival