Les enfants et le travail sont pire que la maladie pour les couples. Mais ça s’arrange à la retraite
La qualité des relations de 721 couples en Suisse sur une période de treize ans est au centre d’une thèse doctorale conduite dans le cadre du Pôle de recherche national LIVES. Manuela Schicka a défendu avec succès les résultats de sa recherche le 30 septembre 2015 à l’Université de Genève. Elle démontre que si les styles d’interaction conjugale restent généralement stables au cours de l’existence, certains événements critiques et certaines phases de vie pèsent davantage que d’autres, et de manière parfois inattendue.
La sociologie de la famille avait déjà constaté l’effet de contagion des problèmes socio-professionnels sur les relations conjugales. Etre au chômage ou rencontrer des problèmes financiers ne sont bien sûr pas les meilleurs moyens d’entretenir la flamme. On savait déjà également que la transition à la parentalité pouvait être un véritablement tremblement de terre pour les partenaires. Mais comment mesurer la qualité de la relation ? Comment évolue-t-elle au cours du temps ? Et tous les événements critiques du parcours de vie ont-ils le même impact ?
Les données longitudinales collectées dans le cadre du projet IP208 du PRN LIVES ont permis à Manuela Schicka de répondre à ces questions. L’enquête Stratification sociale, cohésion et conflits dans les familles contemporaines, que le Prof. Eric Widmer mène depuis 1998 à l’Université de Genève, a généré des informations inédites sur la stabilité et le changement au sein des couples vivant en Suisse.
1442 partenaires hétérosexuels de longue durée ont été observés par l’étude de Manuela Schicka. Ils faisaient partie des personnes qui ont accepté de participer à la première et à la troisième vague de l’enquête en 1998 et 2011. La deuxième vague en 2004 n’avait permis que d’interviewer les femmes. La troisième vague a également essayé de toucher les personnes séparées ou divorcées, mais celles-ci ne sont pas incluses dans les présentes analyses.
Evénements critiques et transitions
La doctorante a regardé si certains événements critiques ou certaines transitions ont eu un impact sur la qualité des relations, et si ces effets dépendaient également en partie des styles d’interaction conjugale. Elle s’est intéressée à des transitions dites « normatives » (attendues et ordinaires), telle que devenir parent, voir son enfant quitter la maison (le syndrome du « nid vide ») ou prendre sa retraite. Elle a également inclus des événements « non normatifs» (inattendus et non souhaités) tels que problèmes socio-professionnels et soucis de santé.
Pour évaluer la qualité des relations conjugales, elle a pris comme indicateurs le niveau de satisfaction par rapport au couple, la fréquence des pensées de séparation, l’existence de conflits conjugaux de différents types et la gravité des disputes.
Les styles d’interaction conjugale étaient identifiés en fonction de la typologie développée par Jean Kellerhals et Eric Widmer, qui est basée sur deux dimensions principales : la cohésion et la régulation. Le niveau de cohésion dépend du degré de fusion (plus les partenaires sont connectés l’un à l’autre) et du degré d’ouverture (plus le couple est connecté à son réseau social). Quant au niveau de régulation, il dépend du degré de différenciation genrée des rôles au sein du couple et du degré de routinisation des tâches.
Les couples fusionnels résistent mieux
La recherche de Manuela Schicka a montré que les couples marqués par un haut degré de fusion résistent mieux aux aléas de la vie. Elle a également révélé que les styles d’interaction évoluent très peu au cours de la vie de couple. Certaines transitions cependant, et particulièrement le passage à la retraite, ont tendance à entraîner une plus grande fusion. Ce moment du parcours de vie, ainsi que la phase du « nid vide », apparaissent comme bénéfiques pour la qualité relationnelle du couple. Par contraste, la transition à la parentalité et les problèmes socio-professionnels génèrent plus de conflits et une baisse de satisfaction dans la relation.
Il est également intéressant de relever que les maladies graves et les accidents n’ont pas d’effet sur la qualité conjugale. Près de la moitié des couples interrogés ont été confrontés à des problèmes de santé entre la première et la troisième vague, alors que 20% seulement ont connu des soucis d’ordre socio-professionnel.
Responsable ou pas?
Manuela Schicka explique la différence d’impact entre les problèmes liés au travail et les problèmes de santé par le fait que la trajectoire professionnelle est perçue comme quelque chose de contrôlable, alors que les maladies et les accidents sont associés à de la malchance, et non à une responsabilité personnelle. Quand un tel malheur arrive, il y a moins de ressentiment entre les partenaires. La chercheuse note également que « l’importance des événements dans le domaine professionnel peut être expliqué par l’importance en Suisse, pour les hommes et les femmes, d’être actifs sur le marché du travail. Un échec dans ce domaine entraîne de la frustration et des déceptions. »
L’autre caractéristique de la Suisse est liée à la question des enfants : comme la chercheuse l’observe, « la transition à la parentalité est associée à une augmentation de la fermeture du couple, ainsi qu’à une hausse de la différenciation des rôles fonctionnels. » Les femmes dans ce pays abandonnent ou réduisent souvent leur participation au monde professionnel quand elles deviennent mères, en raison du manque de solutions de garde. Cela aussi génère pas mal de frustration.
Il est dès lors ironique de constater que l’objectif principal du mariage, avoir des enfants, est un défi aussi menaçant pour la stabilité du couple, alors que les transitions vers le nid vide ou la retraite réussisent à souder davantage les partenaires, à un âge qui n’est généralement pas considéré comme le plus romantique…
>> Schicka, Manuela (2015). The Impact of Critical Life Events and Life Transitions on Conjugal Quality: A Configurational Approach. Sous la direction d'Eric Widmer. Université de Genève