Le couple, invité surprise et omniprésent du forum sur la monoparentalité
Une trentaine de professionnels du social se sont réunis, vendredi 21 novembre 2014 à l’Université de Lausanne, à l’invitation du Pôle de recherche national LIVES et de la Fédération suisse des familles monoparentales. Face à l’augmentation des séparations et la banalisation des foyers éclatés, les objectifs de la rencontre étaient d’identifier les défis pour les politiques publiques ainsi que des pistes pour la recherche. Les échanges ont été fructueux, imprégnés toute la journée par ce constat : si un enfant, ça se fait à deux, une séparation réussie aussi...
Qu’est-ce qui rend le fonctionnement et les relations des familles monoparentales différents, comparés aux familles traditionnelles ? De quelles ressources ces foyers – autrefois considérés comme atypiques mais aujourd’hui en forte augmentation – manquent-il le plus ? Quelles sont les faiblesses observables à ce sujet dans le système suisse aux niveaux juridique, fiscal ou social ? Telles sont quelques-unes des questions qui ont été débattues lors du forum Famille en mutation et monoparentalités : le point de vue des professionnel-le-s qui s’est tenu à Lausanne fin novembre.
Une trentaine de représentant-e-s de services de l’Etat, d’œuvres d’entraide, d’associations de défense des parents ou de structures spécialisées dans l’enfance et la famille avaient répondu à l’appel du Pôle de recherche national LIVES – Surmonter la vulnérabilité : perspective du parcours de vie (PRN LIVES) et de la Fédération suisse des familles monoparentales (FSFM). Le format prévoyait une série de discussions, le matin en petits groupes professionnellement les plus homogènes possibles, suivies l’après-midi de confrontations des différents points de vue regroupés par thèmes, avant le moment de la synthèse et des conclusions en plénière, autant de « précieuses suggestions » pour la recherche, a souligné la Prof. Laura Bernardi, vice-directrice du PRN LIVES.
Les discussions étaient animées par des chercheurs et des chercheuses du PRN LIVES et suivies par des observateurs et observatrices en vue de la rédaction d’un rapport détaillé à venir en 2015 afin de rendre compte de toute la richesse des expériences et réflexions des professionnel-le-s engagé-e-s aux côtés des foyers monoparentaux.
L’état des lieux s’est concentré sur trois thèmes : les relations, les ressources et les politiques publiques, avec de nombreux liens ou problématiques communes entre ces domaines.
Manques et points forts
Parmi les particularités des familles monoparentales, les intervenant-e-s ont largement relevé les manques de ressources en termes de revenu, de temps, de liens sociaux, d’information et d’accès à la formation. L’isolement, le sentiment d’échec et les problèmes d’éducation sont autant de difficultés. Mais ces foyers possèdent aussi des points forts : ils offrent un plus grand nombre de modèles et de références à leurs enfants que les familles dites traditionnelles - où les conflits existent aussi, a rappelé une participante, mais où l’on n’a pas toujours la liberté de dire ce qu’on pense…
Tout au long de la journée, de nombreuses discussions ont tourné autour des étapes précédant et suivant la rupture du couple, perçue comme l’acte fondateur du foyer monoparental. « Ce n’est pas au moment du divorce que les choses se règlent », a ainsi déclaré Nicole Baur, déléguée à l’égalité du canton de Neuchâtel, rappelant que les femmes paient très cher, au moment de la séparation, leur mauvaise insertion sur le marché de l’emploi, largement due en Suisse à l’absence de solutions de garde et à une fiscalité défavorable aux couples qui travaillent.
La précarisation qui pèse ensuite sur les familles monoparentales frappe également lourdement les parents non gardiens (c’est-à-dire les pères, dans la plupart des cas), ont relevé les participant-e-s. Car ceux qui paient les pensions alimentaires peuvent certes défiscaliser cette charge jusqu’à la majorité des enfants, mais ne peuvent pas réclamer l’aide sociale, leur minimum vital étant en principe préservé. « Les pères contributeurs sont ainsi les seuls qui ne reçoivent aucune aide », a souligné Doris Agazzi, coordinatrice romande de la FSFM.
Mais si la question financière est source de nombreux conflits, « ce n’est pas toujours quand il y a peu d’argent que les problèmes sont les plus grands », a nuancé Nadia Rosset, spécialiste de la médiation familiale, rejoignant ainsi l’avis d’Antoine Hartmann, juriste au Centre social protestant (CSP) : « Quand on a réussi à dissocier le couple parental du couple amoureux, il est plus facile de se mettre d’accord. Ceux qui dialoguent s’en sortent très bien », a-t-il estimé, ajoutant plus tard : « Quand un couple explose, il faut attendre que la poussière retombe. Cela dépend de la force de la bombe et de la sensibilité à la poussière. (…) Le problème, c’est le conflit perpétuel. » Or, note Carmen Religieux, psychologue indépendante et membre du comité de la FSFM, « le conflit est aussi une manière de maintenir le lien… »
Problèmes de justice
Impossible donc de ne pas parler du couple, surtout en cette année où est entrée en vigueur la nouvelle loi sur l’autorité parentale conjointe comme règle. « Elle a été pensée pour des ex-partenaires qui s’entendent », remarque Caroline Alvarez, du Service de protection vaudois de la jeunesse. « Elle augmente les guerres ouvertes », dénonce quant à lui Thomas Riedi, président de l’Association des familles monoparentales et recomposées - Vaud (AFMR). L’ensemble des professionnel-le-s présent-e-s s’accorde à penser que si l’autorité parentale conjointe va bien dans le sens de l’intérêt de l’enfant, elle risque cependant d'aboutir à l’ouverture de nombreuses procédures auprès des instances officielles et tribunaux déjà surchargés.
A ce sujet, les carences de la justice ont été désignés plusieurs fois comme une source importante d’inquiétude : lenteur à traiter les cas, absence d’outils pour faire appliquer les décisions, manque de formation des juges aux problématiques familiales et à la médiation, et surtout absence d’un tribunal de la famille qui soit seul compétent, comme il en existe en Allemagne, alors qu’en Suisse justice de paix et tribunaux d’arrondissement se répartissent les rôles.
Besoin de relais
Au moment de conclure, le mot « relais » s’est imposé pour désigner d’un seul terme plusieurs besoins fondamentaux des familles monoparentales : besoin tout d’abord de lieux d’accueil pour les enfants afin de favoriser leur développement et permettre aux parents de travailler - pont indispensable vers l’autonomie financière et l’intégration sociale ; besoin également de lieux d’écoute, de partage et de réseautage pour les parents - « pour dire que c’est difficile », et aussi « pour se rendre compte que d’autres expériences existent, que ce qui est intolérable pour soi peut être accepté ailleurs », a exposé Nicole Pletscher, collaboratrice d’accueil au CSP. Les difficultés des familles migrantes, privées du soutien de la famille élargie et moins bien armées pour affronter les démarches administratives, sont un exemple de situations où les besoins en « relais » sont particulièrement criants.
Toujours dans le même esprit, l’accessibilité et la prise en charge financière des prestations de médiation devraient être améliorées, ont défendu plusieurs intervenant-e-s. « On voit moins de défauts de paiement des pensions alimentaires quand la convention a été élaborée dans un processus de médiation que quand elle est le résultat d’une décision de justice », a par exemple cité Patrick Robinson, de la Coordination romande des organisations paternelles (CROP).
Equilibre travail-famille
Les recommandations issues de ce forum feront l’objet d’une publication à part entière. On peut déjà relever qu’il y sera notamment question d’harmoniser au niveau fédéral l’aide au recouvrement, les avances des pensions alimentaires et les pratiques fiscales. Les propositions viseront également une meilleure conciliation entre vie de famille et vie professionnelle, avec des aménagements du temps de travail à prévoir de manière moins « genrée » qu’actuellement, afin que les deux parents s’impliquent de manière plus équilibrée dans les deux dimensions, et cela avant comme après la rupture. Des idées de « formation à la parentalité » (sur le mode de l’éducation sexuelle à l’école) et de « prévention des séparations » ont aussi été évoquées.
Pistes pour la recherche
Enfin plusieurs études seraient nécessaires, ont estimé les participant-e-s, pour mieux définir les dispositifs à développer en faveur des familles monoparentales : analyser de manière qualitative les différences dans le bien-être des enfants en fonction des modes de garde ; comparer quantitativement le temps octroyé à la famille et celui consacré au travail au sein des foyers monoparentaux ; observer l’incidence des contributions d’entretien sur la paupérisation ; ou encore étudier rétrospectivement le parcours de vie des adultes enfants de divorcés.
« Les problèmes des familles monoparentales sont les mêmes que dans les autres familles, mais ils surgissent plus tôt et plus fort », a déclaré pendant la journée Serena Giudicetti, membre de l’antenne tessinoise de la FSFM. Ce sentiment à la fois de normalité et d’urgence pourrait être un bon leitmotiv pour la suite…