Les politiques sociales au coeur des débats du 3e Colloque Pauvreté
Les 2 et 3 octobre 2014, plus de 250 personnes se sont réunies à l'Université de Lausanne pour réfléchir aux mesures destinées à réduire la précarité. Soutenue par le Canton de Vaud, la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO), l'Université de Lausanne, le Centre de compétences suisse pour les sciences sociales FORS et le Pôle de recherche national LIVES, la troisième édition du Colloque biennal sur la pauvreté a réuni des délégués d'organes fédéraux ou cantonaux, d'organisations non gouvernementales et de fondations, ainsi que du monde de la recherche.
Walter Schmid a ouvert le colloque structuré en 8 conférences plénières et 13 ateliers. L'ancien président de la Conférence suisse des Institutions d'action sociale (SKOS/CSIAS) a donné un discours passionné sur le thème de l'aide sociale en Suisse, actuellement fortement menacée selon lui. Au cours des dernières années, des requérants d'asile ont vu leur assistance réduite à une simple aide d'urgence; dans certains cantons comme Berne, les prestations d'aide sociale ont diminué de 10%. Si cette tendance devait continuer, a averti Walter Schmid, le système suisse de protection sociale, complexe et fragmenté, pourrait se transformer en un système à deux vitesses où un nombre croissant de personnes recevrait beaucoup moins que les prestations minimum actuelles, pour l'instant fixées à 60% du revenu médian en Suisse.
Une question de justice?
Mais qu'est-ce qui justifie le maintien de telles dépenses par l'Etat social? D'une manière ou d'une autre, la plupart des conférences ont répondu à la question. Pour Walter Schmid, la réponse est claire: l'Article 12 de la Constitution fédérale garantit le "droit d'être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine".
Peter Sommerfeld, professeur à la Haute école de travail social de la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse, a présenté une vision quelque peu différente. S'exprimant sur le rôle du travail social dans la lutte contre la pauvreté, il a justifié les politiques publiques comme une forme de justice sociale tirant sa légitimité dans un besoin de bien-être ancré lui aussi dans la constitution. S'inspirant de l'approche des capabilités, Peter Sommerfeld estime que la pauvreté doit être comprise comme un déficit de bien-être; la meilleure manière d'y remédier serait donc de concentrer les efforts sur les capacités des individus, plutôt que de focaliser sur des chiffres tels que le revenu médian.
Loin de considérations éthiques, Jacques Donzelot de l'Université Parix X Nanterre a retracé l'histoire des politiques de lutte contre la pauvreté, montrant que deux motivations intimement liées ont toujours façonné les politiques sociales, et tout spécialement celles contre la précarité: la charité et le contrôle social. C'est particulièrement le cas du système pré-moderne de patronage philanthropique, du système de sécurité sociale dans les sociétés industrialisées, basé sur les assurances, ou des politiques actuelles contre l'exclusion sociale qui, selon Jacques Donzelot, maintiennent aujourd'hui la cohésion sociale dans le but de mobiliser les citoyens contre le monde extérieur.
Diversité des trajectoires
La question reste ouverte de savoir si Jacques Donzelot avait la société française à l'esprit en évoquant le caractère défensif des politiques de cohésion sociale. Cela dit, le colloque a clairement montré la diversité des personnes touchées par la pauvreté et par les politiques sociales destinées à la contrer. La conférence de Morgane Kuehni, Professeure à la Haute école de travail social et de la santé - EESP Lausanne (HES-SO), s'est attachée à illustrer cette diversité s'agissant des "working poor": certains ressentent de la honte et de la révolte envers leurs conditions de vie, d'autres s'y sont résignés, alors que d'autres encore ne montrent aucun scrupule.
Monica Budowksi, Professeure à l'Université de Fribourg, et Robin Tillmann, Directeur du Panel Suisse de Ménages chez FORS, ont également illustré cette diversité en évoquant les difficultés que rencontrent les chercheurs en sciences sociales pour analyser et mesurer la pauvreté. Celle-ci varie en intensité selon les moyens et les indicateurs utilisés par les études.
Au fil des 13 ateliers, il a encore été question de diversité des acteurs et des politiques en lien avec la pauvreté. Les thèmes ont porté sur l'endettement, l'aide en nature, la pauvreté chez les jeunes et chez les aînés, le logement, la santé et l'emploi. D'autres sujets étaient plus spécifiques, comme le "case management" ou la collaboration entre les nombreuses institutions sociales publiques. Tous ces ateliers commençaient par une présentation d'un chercheur ou d'une chercheuse et une présentation d'un-e praticien-ne, suivies par une discussion ouverte permettant l'échange d'idées, d'expériences et de connaissances, et favorisant ainsi les contacts entre les domaines professionnels et les disciplines académiques.
Pas de politique unique
Sans surprise, pour être traduite dans des politiques concrètes, cette diversité réclame des actions concertées. Bea Cantillon, de l'Université d'Anvers, en a donné les raisons en présentant la perspective de l'investissement social.
Dénonçant la perte du pouvoir d'achat parmi des couches grandissantes de la population suisse, Pierre-Yves Maillard, Conseiller d'Etat vaudois, s'est attardé quant à lui sur les rouages des politiques de lutte contre la pauvreté dans son canton, et a défendu sa stratégie de mesures spécifiques allant de pair avec les assurances connues et institutionnalisées en matière de santé, d'invalidité et de vieillesse. Il a expliqué que l'Etat de Vaud a mis en place des soutiens pour les familles, les étudiants, le logement et les soins, ainsi que pour l'emploi des jeunes et des femmes. Il a également mentionné que le canton a lancé un programme de prévention de la pauvreté passant par des projets dans les écoles et l'accueil de la petite enfance.
Enfin Gabriela Felder, directrice du Programme suisse de prévention et de lutte contre la pauvreté à l'Office fédéral des assurances sociales, a présenté ce programme lancé en 2014, démontrant encore une fois la grande diversité d'envergure, d'approche et de mise en oeuvre s'agissant des questions de pauvreté. Les projets concernés tournent autour de quatre axes: l'accès des enfants et des jeunes adultes à la formation, l'intération professionnelle, les conditions de vie ainsi que le suivi des mesures. Prévu jusqu'en 2018, ce programme sera doté d'un budget de 9 millions de francs.
Pascal Maeder, responsable LIVES du transfert de connaissances