On a encore besoin d’apprendre passé 65 ans : une évidence qui fait son chemin
Une table ronde soutenue par le Pôle de recherche national LIVES le 18 septembre 2014 à Lausanne a réuni plusieurs acteurs politiques, académiques, économiques et associatifs autour de la question de la formation des seniors, à l’occasion de la sortie du livre plaidoyer de Roland J. Campiche et Afi Sika Kuzeawu. Si les participants étaient d’accord sur l’urgence des besoins, ils peinent à s’accorder sur les mesures à prendre.
« J’avoue que ce livre a un peu bousculé mes certitudes : ses constats devraient être évidents, mais ils ne m’avaient pas encore frappé, et ils n’ont pas encore pénétré tout le monde », a déclaré jeudi 18 septembre Guy Parmelin, conseiller national UDC, lors de la table ronde organisée par le PRN LIVES en collaboration avec la Fédération suisse des Universités du 3e âge, la Fondation Leenaards et la Fondation Champ-Soleil, et suivie par près de 80 personnes à l'hôtel Continental de Lausanne.
Animé par la journaliste Manuela Salvi, le débat a réuni un large consensus sur la place grandissante des aînés dans la société. « Ensemble ils forment la plus grande garderie de Suisse », a déclaré Roland J. Campiche, qui présentait son dernier ouvrage paru aux éditions Antipodes : Adultes aînés, les oubliés de la formation[1].
Le poids et le déni
Professeur honoraire de l’Université de Lausanne, Roland J. Campiche a également relevé l’apport des seniors dans les activités associatives, leur poids lors les votations et dans les conseils municipaux, et indiqué qu’en Suisse la moitié des personnes interrogées souhaiteraient travailler plus longtemps. « Pourtant tout se passe comme si passé le rubicond de la retraite, on entrait dans une zone grise en matière de formation ». Preuve du déni, selon le sociologue: les récentes lois sur les universités et sur la formation continue ne disent pas un mot des seniors.
Plusieurs intervenants ont largement évoqué ces besoins de nouveaux apprentissages: pour se diriger dans un monde de plus en plus numérique, pour être capable d'aider des proches entrés dans le 4e âge, pour prévenir la dégénérescence - car « le cerveau s’use quand on ne l’utilise pas », a rappelé le neurologue Yves Dunant -, pour lutter contre la dépression qui frappe les individus lors des grandes transitions – adolescence ET retraite, et dont les coûts seraient encore supérieurs à ceux de la maladie d’Alzheimer -, voire même pour « servir de vivier de main d’œuvre indigène après l’électrochoc du 9 février », a lancé de manière volontairement provocante la conseillère aux Etats socialiste Géraldine Savary, se disant « persuadée que cette discussion va naître ».
Quels moyens ?
Mais les participants ont butté sur la question des moyens. Introduire un financement public ? Créer des bases légales ? Et quelle(s) organisation(s) mettre en place ou défendre ? Dans son livre, Roland J. Campiche plaide pour une reconnaissance officielle du rôle des universités du 3e âge, accompagnée d’un soutien financier par l’Etat, qu’il évalue à 500'000 francs par an. « Il faudrait aussi dire ce que ça rapporterait comme retour sur investissement, c’est un langage que les politiques comprennent », a proposé un auditeur.
Certains se sont cependant émus du caractère jugé « élitiste » des universités du 3e âge, signalant qu’il existe d’autre voies pour se former à la retraite, voire s’y préparer : associations ou fondations (Pro-Senectute, Force Nouvelle, FAAG), universités populaires, cours Migros, etc.
Pour une nouvelle « andragogie »
Roland J. Campiche s’est insurgé contre « le mythe d’une université inaccessible », déclarant que les étudiants des Unis 3 provenaient de toutes les catégories de la société. Mais il a reconnu qu’une nouvelle forme de pédagogie reste à développer, « des pairs par les pairs », plus interactive, valorisant les compétences acquises des adultes aînés, qui pourrait même « féconder l’ensemble du système de formation ».
Enfin quelques pistes ont été proposées par les intervenants : réduire les coûts de la santé pour les aînés qui se forment, réclamer un programme national de recherche sur la thématique, professionnaliser la formation des bénévoles, considérer l’éducation comme un projet humain « allant de la naissance à la mort », favoriser les échanges intergénérationnels…
« La proportion de jeunes retraités qui s’engagent dans une formation est encore une minorité, mais il est prouvé qu’une ou deux années de plus ou de moins de formation au cours de la vie ont des effets significatifs sur la longévité », a rappelé le sociologue François Höpflinger.
600'000 babyboomers arriveront dans quelques années à la retraite. « Il faut du temps entre le constat et la mise en œuvre. C’est pourquoi le lobbysme est nécessaire », a estimé Guy Parmelin, définitivement rallié à la cause. Il disposera bientôt d'un outil pour ce faire auprès de ses collègues alémaniques : le livre de Roland J. Campiche et Afi Sika Kuzeawu paraîtra l’an prochain en allemand aux éditions Seismo.