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Le prix LIVES à un chercheur expatrié montrant les liens à long terme entre habitat et bien-être

Le « LIVES Best Paper Award for Early Scholars » d’une valeur de 2000 € a été décerné au Dr. Bram Vanhoutte le 9 juillet 2018 lors de l’ouverture de la conférence annuelle de la Society for Longitudinal and Lifecourse Studies (SLLS). Son article met habilement en évidence trois concepts majeurs de la perspective des parcours de vie en suivant des trajectoires résidentielles grâce à des mesures empiriques de durée, de temporalité et d’ordre des séquences. Les résultats montrent notamment une association positive entre la possession de son propre logement et le bien-être en seconde partie de vie. Les déménagements fréquents peuvent impacter ou non le bien-être plus tard selon la phase de vie à laquelle ils ont lieu : déménager souvent au cours de l’enfance n’a pas d’effet à long terme, s’avère positif au début de l’âge adulte mais se révèle moins favorable en milieu de vie sur le sentiment de bien-être passé 50 ans.

En tant que jeune Belge travaillant en Angleterre et ayant fréquemment changé de lieu d’habitation au cours des premières années de sa vie adulte, Bram Vanhoutte a de bonnes chances d’être une personne heureuse quand il sera arrivé à l’âge mûr. Cette probabilité sera d’autant plus forte s’il finit par acheter une propriété immobilière. En attendant, ce chercheur associé à l’Université de Manchester a déjà une raison bien tangible d’être content : son article sur les trajectoires résidentielles au cours du parcours de vie vient de recevoir le prix LIVES 2018 pour jeunes auteurs, ce qui lui donne l’occasion de présenter son travail à la conférence de la SLLS à Milan, en plus d’empocher 2000 euros.

Le papier de Bram Vanhoutte, publié dans le journal Longitudinal and Lifecourse Studies, illustre comment le bien-être en deuxième partie de vie peut être lié à des configurations résidentielles antérieures, y compris le temps passé à l’étranger. Basé sur des données ELSA, une étude longitudinale anglaise portant sur le vieillissement, sa recherche montre ainsi, par exemple, que déménager fréquemment comme jeune adulte est associé à un plus grand bien-être quelques décennies plus tard. Par contre, une telle instabilité à un âge plus avancé peut prédire une moins grande satisfaction de vie chez les seniors ayant connu ce type de parcours. Selon l’auteur, la première situation reflète le résultat favorable de transitions importantes réussies, telles que suivre des études universitaires, se mettre en couple et avoir des enfants. Alors que l’autre situation, survenant plus tard dans le parcours de vie, peut être induite par des difficultés comme le divorce, la perte d’un·e conjoint·e, le chômage ou l’invalidité.

Des concepts à l’observation

Partant des concepts de cumul des avantages et des désavantages, de période critique et de mobilité sociale, Bram Vanhoutte traduit empiriquement ces trois mécanismes, bien connus dans la recherche sur les parcours de vie, en observations mesurables de durée, de temporalité et d’ordre dans lesquels se matérialisent les conditions de logement. Les variables, collectées à travers des calendriers de vie et concernant 7500 résidents britanniques, sont construites selon quatre états possibles : vivre en location, dans sa propre propriété, dans un logement non-privé (internat, armée, etc.) ou à l’étranger. En combinant ces quatre états possibles en fonction des dimensions susmentionnées – combien de temps, à quel moment et dans quel ordre, dix types de trajectoires résidentielles distinctes peuvent être identifiées.

Bram Vanhoutte compare alors les types de trajectoires suivies au cours de la vie avec le niveau de bien-être des répondants, âgés de 50 ans et plus. Ici le bien-être est considéré de trois points de vue : affectif, cognitif et « eudémonique » (c’est-à-dire ayant trait au plaisir de vivre), chacun de ces trois types de bien-être étant capturé grâce à des échelles d’évaluation maintes fois validées en méthodologie d’enquête.

Gagnants et perdants

Concernant la durée, les résultats de Bram Vanhoutte montrent que plus une personne passe d’années dans une location, moins ses niveaux de bien-être affectif et eudémonique seront élevés en deuxième partie de vie. Être propriétaire pendant plusieurs années est associé à moins de symptômes de dépression (ce qui signifie un bon niveau de bien-être émotionnel) ainsi qu’à un meilleur bien-être eudémonique, mais pas à une plus grande satisfaction de vie (qui s’apparente au bien-être cognitif). La possession de son foyer est ainsi un indicateur clair de sécurité économique et de stabilité familiale dont les bienfaits s’accumulent au cours des années. Dans ce sens, la durée exprime bien cet important concept qu’est le cumul des (dés)avantages.

La temporalité fait référence aux périodes critiques ou sensibles, suggérant que certains schémas d’habitat pourraient être plus à risque ou plus bénéfiques selon les étapes de la vie. Bram Vanhoutte démontre clairement que le meilleur moment pour être mobile est le début de la vie adulte, alors que le même comportement est plutôt un mauvais signe plus tard dans le parcours. Cependant, et contrairement à son hypothèse de départ, le chercheur ne trouve aucune association négative entre déménagements fréquents dans l’enfance et bien-être à long terme, même chez les individus les plus défavorisés. La perte de liens sociaux qui aurait pu résulter de ces déplacements répétés pourrait avoir été compensée par l’expansion et l’amélioration des logements sociaux dans les années 60, permettant à la cohorte examinée d’accéder à de meilleures conditions de vie, estime Bram Vanhoutte.

Enfin, l’ordre des séquences d’habitation met effectivement en lumière la question de la mobilité sociale, qu’elle soit ascendante ou descendante, la résidence apparaissant comme « un indicateur alternatif de position sur l’échelle sociale », écrit l’auteur. « Il est clair, selon nos analyses, qu’être locataire après avoir grandi dans une propriété, ce qui est une forme évidente de mobilité sociale descendante, est associé avec les niveaux les plus bas de bien-être dans l’âge mûr, comparé à d’autres trajectoires résidentielles », ajoute-t-il. Avoir grandi à l’étranger est lié à une forme de trajectoire favorable - marquée par de courts passages en internat et en location suivis d’une accession rapide à la propriété - qui s’accompagne de très hauts niveaux de bien-être en fin de vie. Cela doit être compris dans le contexte de la fin de l’Empire britannique, où des familles privilégiées employées dans les colonies sont revenues au pays.

Pertinent, même si contextuel

L’étude toute entière doit être replacée dans le contexte du Royaume-Uni, où la plupart des gens achètent un bien immobilier au cours de leur vie. Mais elle nous invite aussi à réfléchir à l’importance des notions de durée, de temporalité et d’ordre marquant les trajectoires résidentielles dans d’autres contextes. En Suisse, l’accession à la propriété n’est pas si courante, seul un ménage sur trois possédant son propre logement.

Malgré le contexte particulier de l’article de Bram Vanhoutte, ou peut-être justement en raison de sa contextualisation rigoureuse, le jury du prix LIVES pour jeunes auteurs, composé de membres seniors du PRN LIVES, a particulièrement apprécié sa pertinence scientifique pour l’étude des parcours de vie, son approche longitudinale et sa contribution importante à la thématique de la vulnérabilité. Un papier clair et structuré, à n’en pas douter !

>> Vanhoutte, B., Wahrendorf, M., Nazroo, J. (2017). Duration, timing and order: How housing histories relate to later life wellbeing. Longitudinal and Lifecourse Studies: International Journal. Volume 8, Issue 3, pp 227-243

Vulnérabilité dans les trajectoires de santé: Perspectives du parcours de vie. Revue suisse de sociologie

Vulnérabilité dans les trajectoires de santé: Perspectives du parcours de vie. Revue suisse de sociologie

Au carrefour de la sociologie de la santé et de la théorie du parcours de vie, ce numéro spécial réunit des contributions relatives à l'étude des trajectoires de santé et du développement de la vulnérabilité dans le domaine de la santé au cours de la vie. Editeurs: Stéphane Cullati, Claudine Burton-Jeangros, Thomas Abel.

Ce volume regroupe six articles basés sur des recherches quantitatives et qualitatives menées dans des pays européens. Ces contributions apportent des résultats empiriques en lien avec la théorie des parcours de vie (le modèle des avantages cumulatifs et le modèle des périodes critiques / sensibles) et apportent des nouveaux éclairages sur les mécanismes contribuant au développement de la vulnérabilité dans le domaine de la santé.

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