Le baby-boom, apogée de la mère au foyer, décrypté dans une thèse alliant analyses macro et micro

Le baby-boom, apogée de la mère au foyer, décrypté dans une thèse alliant analyses macro et micro

Aline Duvoisin a soutenu avec brio le 12 septembre 2017 sa thèse sur les parcours de vie de femmes en âge de procréer entre les années 1940 et 1965. Elle brosse un tableau détaillé d’un phénomène démographique majeur encore mal compris grâce à une approche faisant la part belle aux témoignages pour compléter l’analyse statistique. Sa recherche donne à voir une époque où tout poussait les femmes au mariage. Ou plutôt la fin d’une époque…

« Phénomène international, totalement imprévu, au caractère unique et bouleversant », le baby-boom a suscité de nombreuses interprétations sans obtenir de consensus sur ses causes réelles. La thèse d’Aline Duvoisin permet d’aller plus loin que les théories habituelles, souvent fondées sur une perspective essentiellement économique, et de mieux comprendre cette époque particulière dans le contexte suisse.

Assistante à l’Université de Genève, basée au Centre interfacultaire de gérontologie et d’études des vulnérabilités (CIGEV) et membre du Pôle de recherche national LIVES, Aline Duvoisin montre que cette période a été caractérisée par un net abaissement de l’âge au mariage et la généralisation du modèle bourgeois de la famille « propre en ordre ».

Socialisées dans les années de l’entre-deux guerres, les femmes ont été imprégnées dans leur jeunesse par des discours familialistes prônant la distinction entre rôles féminins et masculins et l’incompatibilité entre emploi et parentalité. Ces normes ont été véhiculées à tous les niveaux de la société : famille, école, églises, mouvements de jeunesse, institutions sociales et politiques, législation et culture de masse ont contribué à forger l’idéal de la femme au foyer, « gardienne des mœurs » respectable et respectée.

Méthode mixte

La recherche d’Aline Duvoisin a fait l’effet d’une « véritable révélation », comme l’a décrit un des membres de son jury de thèse, en justifiant les avantages à utiliser une « approche biographique mixte » combinant données quantitatives et qualitatives.

Sa thèse, basée en grande partie sur l’enquête Vivre/Leben/Vivere (VLV), analyse les trajectoires de 1184 femmes nées entre 1910 et 1941 et vivant dans cinq cantons suisses aux caractéristiques bien distinctes (Genève, Berne, Bâle, Valais, Tessin). Pour chacune de ces régions, la chercheuse a pu bénéficier des retranscriptions d’entretiens semi-directifs menés par Sylvie Burgnard.

Plusieurs types de trajectoires se distinguent, selon que les femmes ont été mariées ou non, avec ou sans enfants, et en fonction d’autres traits comme la trajectoire professionnelle, le contexte rural ou urbain, ou encore la religiosité.

76% des femmes mariées de l’échantillon ont eu au moins deux enfants, le pic de 2.68 enfants par femme ayant été atteint en 1964. Les mères de trois enfants et plus ont été les principales contributrices du baby-boom – les femmes croyantes et celles vivant à la campagne étant sans surprise les plus concernées.

Mieux instruites que les générations précédentes, les cohortes observées ont souvent dépassé le niveau primaire mais leur formation est restée néanmoins très genrée, avec la multiplication des études « ménagères », suivies dans la plupart des cas d’un retrait rapide du monde du travail après le mariage.

Intériorisation des normes

Les témoignages permettent de comprendre comment ces femmes ont intériorisé les normes en vigueur. « J'ai toujours tout fait bien juste », explique ainsi une répondante en racontant son parcours d’épouse et de mère de quatre enfants. « Quand je suis arrivée ici, je trouvais que les femmes étaient arriérées », se souvient cette autre, ayant grandi à l’étranger avant de s’établir en Valais.

« Chacune de ces femmes a connu, à un moment ou un autre de son parcours de vie, un événement leur rappelant quelle place elles devaient tenir dans la société », constate Aline Duvoisin.

Elle observe que les pressions normatives ressenties comme les plus violentes par les cohortes étudiées se sont surtout exercées sur leur trajectoire matrimoniale. L’infécondité était mieux acceptée que la fécondité « désordonnée ». Ne pas avoir d’enfant représentait ainsi un écart « moins grave » que le non-respect des normes de conjugalité.

On perçoit également qu’un nombre important de mères de familles nombreuses ont assumé des enfants non désirés, ou en tout cas non planifiés, faute d'information contraceptive efficace ou en raison de positions conservatrices.

Des pionnières malgré tout

Cette thèse montre enfin qu’une part importante de femmes ont repris néanmoins une activité professionnelle une fois les enfants plus âgés. « L’idéal d’épouse au foyer a évolué vers un idéal de mère au foyer qui a profondément marqué la Suisse et les Suissesses durant la seconde moitié du 20e siècle », estime Aline Duvoisin.

Pour la chercheuse, les mères des baby-boomers « ont été les initiatrices de dynamiques que leurs filles ont consolidées et normalisées ensuite, en l’occurrence ici le retour des femmes sur le marché du travail. » A temps partiel, s’entend, indiquant une évolution progressive des comportements plus qu’une rupture nette entre la période du baby-boom et la chute de la natalité qui a suivi depuis les années 70.

>> Aline Duvoisin (2017). Les origines du baby-boom en Suisse : une approche biographique des cohortes féminines (1910-1941). Sous la direction de Michel Oris. Université de Genève.

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C’est dans les grands tournants et les moments de transition que la vulnérabilité est la plus manifeste

Deux thèses récentes défendues à l’Université de Lausanne dans le cadre du Pôle de recherche national LIVES utilisent des données du Panel suisse de ménages pour observer le déroulement d’événements critiques comme l’entrée dans l’âge adulte, la naissance d’un enfant ou un épisode de chômage. Les recherches de Florence Rossignon et Matteo Antonini mettent ainsi en lumière l’imbrication des caractéristiques individuelles et du contexte structurel, que seul un suivi longitudinal dans le temps permet vraiment de révéler de manière quantitative grâce à des méthodes innovantes. Ce faisant, ces études apportent quelques surprises notables.

« The road to adulthood is long and winding, and it does not come to an end until the late twenties. » (Le chemin vers l’âge adulte est long et tourmenté ; il n’atteint sa destination que vers la fin de la vingtaine.) Cette phrase de Florence Rossignon à la page 54 de son mémoire de thèse, tout en partant d’un constat scientifique, est poétique à plus d’un titre. Ecrite par une jeune doctorante, elle peut également se lire comme une métaphore de sa propre métamorphose, au terme de quatre ans de recherches. Soutenue le 22 août 2017, sa thèse est la toute première à exploiter les données du sur-échantillonnage « LIVES Cohort » concernant des jeunes nés entre 1988 et 1997, dont trois quarts de « secondos », faisant partie du troisième échantillon du Panel suisse de ménages, une enquête menée annuellement depuis 2013 par le Centre de compétence suisse en sciences sociales FORS en collaboration avec le PRN LIVES.

Florence Rossignon s’est intéressée à deux événements marquants du passage à l’âge adulte : le départ du domicile parental et l’entrée sur le marché de l’emploi. Combinant pour la première fois deux méthodes jusqu’ici diamétralement distinctes, l’analyse de séquence et l’analyse de survie, sa thèse montre notamment que les jeunes dont les parents sont séparés ont une probabilité plus élevée de quitter le foyer familial – à chacun des âges observés – que les jeunes dont le couple parental est toujours uni.

Les secondos d’Ex-Yougoslavie bien intégrés

En ce qui concerne l’intégration professionnelle, Florence Rossignon met en avant des différences marquantes selon les origines ethniques, alors que les parcours de formation ont tous eu lieu en Suisse. La deuxième génération de migrants issus d’Europe du Sud est la plus représentée au sein des emplois manuels qualifiés. Plus surprenant, les jeunes originaires des Balkans et de Turquie se démarquent par une plus forte présence dans les emplois qualifiés non manuels à la suite d’un apprentissage. Comparés aux jeunes dont les deux parents sont suisses, les secondos issus de ces pays ont également moins de risque de gagner leur vie dans un emploi non qualifié. Les jeunes dont l’intégration professionnelle est la plus difficile proviennent de familles originaires d’autres continents que l’Europe.

Un aspect particulièrement original de la thèse de Florence Rossignon est l’attention portée aux permis de séjour. Elle réussit à montrer que les jeunes ayant bénéficié lors de leur entrée dans le pays de permis temporaires ou précaires ont une plus grande probabilité que les Suisses – toutes choses étant égales par ailleurs – d’accéder à des situations socio-professionnelles plus prestigieuses, par exemple comme indépendants (« self-employed »). Cette situation pourrait s’expliquer, selon la chercheuse, par des aspirations scolaires et professionnelles plus élevées dans ces familles.

Le chômage et ses conséquences

Cette catégorie « self-employed » semble être une piste intéressante à creuser pour la recherche en sciences sociales. Elle se retrouve également dans la thèse de Matteo Antonini, soutenue le 28 août 2017, lequel a lui aussi utilisé les données du Panel suisse de ménages, mais en incluant des échantillons plus anciens de population, ici de tous âges, liés aux enquêtes démarrées en 1999 et 2004. Une partie de sa recherche a été consacrée aux trajectoires des personnes ayant passé par un ou des épisodes de chômage, l’idée étant de voir leur situation quatre ans après la perte d’emploi.

Matteo Antonini compare deux groupes : les gens qui ont connu le chômage au cours de l’enquête et ceux qui n’y ont pas été confrontés. Ses données indiquent que parmi les chômeurs, la catégorie « self-employed » augmente nettement après une période de chômage, passant de 1.6% à 6.1%. Dans le groupe de contrôle, composé de personnes n’ayant pas vécu le chômage, le nombre d’indépendants reste quant à lui assez stable, voire diminue, passant de 8.3% à 7.9% quatre ans plus tard.

Recourant lui aussi à l’analyse de séquence, le chercheur s’intéresse surtout aux personnes pour qui le chômage a les conséquences les plus graves à moyen et long terme, soit parce qu’elles n’ont toujours pas retrouvé de travail au bout des quatre ans, soit parce qu’elles ont dû se résoudre à un déclassement, ou encore parce que leur trajectoire professionnelle est marquée par une instabilité récurrente. Les étrangers et les seniors sont particulièrement marqués par le chômage de longue durée. Les femmes, elles, sont surtout touchées par le déclassement, acceptant des emplois en dessous de leurs qualifications mais qui permettent la conciliation travail-famille. Enfin les travailleurs manuels, qualifiés et non qualifiés, sont ceux qui peinent le plus à retrouver une situation stable.

En dehors de ces catégories particulièrement vulnérables, Matteo Antonini a constaté que le chômage de longue durée et l’instabilité de carrière concernent également une part significative de personnes très hautement qualifiées – peut-être parce qu’elles ne sont pas prêtes à accepter n’importe quel emploi et qu’elles ont davantage de ressources économiques et sociales pour supporter la situation relativement longtemps, avance Matteo Antonini. Il voit néanmoins dans ce phénomène un signal à ne pas négliger pour le système suisse, tant éducatif que social.

Carrières féminines et assurance maternité

Le doctorant a également consacré une partie importante de sa thèse à un autre événement, celui de l’arrivée d’un enfant. En collaboration avec Ashley Pullman, doctorante à l’University of British Columbia, il s’est penché sur l’impact de l’entrée en vigueur de l’assurance maternité sur les trajectoires professionnelles, et aboutit à un constat mitigé sur l’importance de cette réforme en Suisse pour les carrières féminines. Dans certains cas, les femmes ont même perdu en droits après l’instauration en 2005 du congé obligatoire de 16 semaines payé à 70%, par rapport à ce que certaines conventions collectives offraient auparavant. La nouvelle loi n’a dans tous les cas pas augmenté la proportion de femmes qui travaillent à plein temps. Matteo Antonini montre que la plupart des mères ont plutôt tendance à réduire leur temps de travail, parfois même avant la naissance d’un enfant.

« La réforme n’était pas assez forte pour surmonter l’inertie sociale qui maintient une certaine structure de trajectoires professionnelles », regrette le chercheur. Si l’on met cette analyse en perspective avec la thèse précédemment citée, la Suisse n’en ressort pas vraiment grandie : un des constats de Florence Rossignon est que les secondos qui ont obtenu la naturalisation ne voient pas leur parcours professionnel facilité pour autant : les individus qui deviennent suisses ont toujours moins de chances d'occuper une position supérieure que les Suisses d'origine. Leurs attentes sont plus élevées, et ils entreraient alors en compétition avec des nationaux au capital social plus étoffé, suggère la chercheuse. Dans les deux cas, les recherches des doctorants LIVES rendent visible la tension qui existe entre structure sociale et stratégies individuelles.

>> Florence Rossignon (2017). Transition to adulthood for vulnerable populations in Switzerland: When past matters. Sous la direction de Jacques-Antoine Gauthier et Jean-Marie Le Goff. Université de Lausanne.

>> Matteo Antonini (2017). The impact of critical events on work trajectories. Sous la direction de Felix Bühlmann. Université de Lausanne.

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Des recherches en psychologie tentent de saisir sur le vif l’évolution des mentalités

En ce début de 21e siècle, la famille est un creuset incontournable de changement social. Pas étonnant dès lors qu’elle se soit retrouvée au cœur de plusieurs communications dans le cadre du 15e Congrès de la Société suisse de psychologie, les 4 et 5 septembre 2017 à l’Université de Lausanne, où le Pôle de recherche national LIVES a apporté de nombreuses contributions sur la qualité des relations, le bien-être et les normes en matière de famille moderne.

Les attitudes et opinions concernant la famille changent à une vitesse vertigineuse depuis quelques années, et la recherche s’y intéresse évidemment dans toutes sortes de disciplines des sciences sociales. C’est d’autant plus vrai en ce qui concerne la psychologie, qui a toujours accordé une place prioritaire aux relations familiales. Parmi les nombreux sujets abordés cette année par le Congrès de la société suisse de psychologie, la structure familiale a donc eu comme d’habitude une place de choix. Mais ce qui frappe, c’est à quel point il y a été question de mutations.

Le premier jour, la conférence publique de la Prof. Susan Golombok, directrice du Centre for Family Research à l’Université de Cambridge, a évoqué les nombreuses craintes que suscitent tant les transformations des structures familiales que les nouvelles possibilités d’avoir des enfants. Sur la base de nombreuses recherches menées auprès de familles atypiques ou ayant bénéficié d’aide à la procréation, elle montre que le bien-être psychologique des enfants n’est pas lié aux types de parent ou de conception, mais à la qualité des relations instaurées au sein de la famille.

Qu’il s’agisse de parents de même sexe, de foyers monoparentaux ou de personnes ayant recouru à la reproduction assistée, dans tous les cas les constats scientifiques recensés par Susan Golombok vont à l’encontre des peurs formulées par les tenants de la famille traditionnelle. Sponsorisée par le Pôle de recherche national LIVES et l’Interface Science-Société de l’Université de Lausanne, la conférence de Susan Golomboka a repris de nombreux exemples tirés de son best-seller Modern families: Parents and children in new family forms, paru en 2015.

Tout au long du congrès, qui a réuni plus de 250 chercheurs et chercheuses, les membres du PRN LIVES ont présenté vingt-trois papiers, dont douze sur la base de données récoltées au sein de projets spécifiques du pôle (IP201, IP207, IP212, IP213). S’ajoutant à des questions touchant au monde du travail ou au vieillissement, le thème de la famille était particulièrement bien couvert, avec plusieurs chercheuses s’intéressant à comprendre diverses facettes de l’évolution des structures familiales.

Egalité homme-femme en progression. Et en Suisse ?

La Prof. Clémentine Rossier, démographe de la famille à l’Université de Genève et responsable de l’IP208 du PRN LIVES, a présenté une recherche menée en collaboration avec Juliette Fioretta sur le bien-être des couples avec enfants qui adoptent des pratiques et attitudes de genre progressistes.

Comparant cinq pays (Allemagne, Belgique, France, Suède et Suisse), leur étude montre que les couples dont les opinions sont les plus égalitaires ont de bien meilleurs indicateurs de bien-être, quel que soit le pays observé. Ce résultat se comprend notamment parce que les couples qui ont des idéaux plus progressistes en matière de genre sont aussi plus favorisés socialement. Lorsqu’on examine l'égalité de genre dans la pratique - ici en s'intéressant aux couples où les deux conjoints travaillent à 100% - on retrouve les mêmes résultats : les couples à double pleins temps ont généralement des meilleurs indicateurs de bien-être.

La Suisse est le seul pays, parmi les cinq observés dans cette étude, où les couples dont les deux partenaires travaillent à temps plein ressentent davantage de difficultés financières et de santé que les couples où la femme est partiellement ou totalement retirée du marché du travail. Contrairement aux autres pays, les femmes qui travaillent à 100% en Suisse y semblent contraintes pour des raisons économiques, et cela au détriment de leur bien-être, dans un contexte très peu propice à la conciliation travail-famille. Les femmes de milieux plus privilégiés, qui sont favorisées par un travail à plein temps dans les autres pays, optent massivement pour un temps partiel en Suisse, par manque de structures institutionnelles appropriées en matière de garde d’enfants.

Cette observation est confirmée par le fait que la Suisse est aussi le pays présentant la plus grande proportion d’hommes ayant réduit leur temps de travail pour s’occuper des enfants (9%). Les chercheuses en concluent que « c’est donc bien la possibilité de mener de front vie professionnelle et vie familiale qui est au cœur du problème en Suisse, et non pas l’égalité de genre en matière de représentations ou d’autres pratiques ».

Opinions individuelles et normes sociales

Ce constat d’une évolution des mentalités pas encore totalement représentée dans les faits se retrouve dans une autre étude, très originale et prometteuse, qui a été présentée par Léïla Eisner, doctorante LIVES à l’Université de Lausanne sous la direction du Prof. Dario Spini. Sur la base d’une enquête menée auprès de 1105 personnes de tous milieux dans différentes localités du canton de Vaud, la jeune chercheuse en psychologie sociale s’est intéressée aux opinions des répondant·e·s sur les mères qui travaillent et les parents de même sexe, ainsi qu’à leur perception de ce qu’en pensent les autres.

Dans le cas des mères qui travaillent, ses résultats montrent des opinions plutôt neutres, les moins favorables étant les personnes les plus âgées et les moins qualifiées. L’analyse des différences entre les opinions personnelles et la norme perçue aboutit à de très faibles écarts : en d’autres mots, peu de gens pensent que leur position est très différente de ce qui est ressenti dans l’ensemble de la société. Cela tendrait à indiquer que le droit des femmes à mener une carrière est de moins en moins objet de débat et de plus en plus entré dans les mœurs.

Homoparentalité mieux acceptée qu'on ne croit

Par contre, concernant les opinions et les normes perçues à l’endroit des parents de même sexe, les analyses de Léïla Eisner montrent de grands écarts entre les opinions personnelles et l’image que se font les répondant·e·s de l’avis des autres. Seules 40% des personnes sondées se disent personnellement opposées à l’idée de familles homoparentales. Mais près du double estiment que la plupart des gens y sont défavorables. Ce qui est significatif également, c’est que les répondant·e·s les plus hostiles aux parents gays ou lesbiennes pensent que la société dans son ensemble est de leur avis, alors que les opinions individuelles montrent le contraire et sont dans les faits bien plus progressistes.

Or les personnes qui expriment le moins de désaccord avec le fait que des couples homosexuels puissent élever des enfants se considèrent fortement en minorité par rapport à l’opinion publique, alors qu’en réalité beaucoup plus de gens pensent comme elles qu’elles ne le croient. Une analyse des caractéristiques de ce groupe avant-gardiste, se sentant isolé mais finalement assez en phase avec l’évolution de la société, montre que les femmes, les personnes jeunes, celles se situant à gauche politiquement et les moins religieuses y sont surreprésentées. Alors que les hommes, les personnes âgées, les personnes se situant à droite et les personnes croyantes ont moins tendance à différencier leur propre opinion de celle des autres, se croyant majoritaires mais porteurs dans les faits d'un courant de pensée en déclin.

Les liens affectifs avant tout

Les transformations de la famille ont encore été au centre d’autres présentations, comme celles de l’équipe de la Prof. Daniela Jopp à l'Université de Lausanne sur les relations entre parents très âgés et leurs enfants âgés, un phénomène observable grâce à l’allongement de l’espérance de vie, ou encore la présentation de Jeanette Brodbeck, chercheuse en psychologie à l’Université de Berne et membre de l’IP212 du PRN LIVES. Son équipe a observé pendant six ans comment les individus surmontent la perte d’un·e partenaire à la suite d’un deuil ou d’un divorce en deuxième partie de vie. Le papier présenté au congrès montre que les ex-conjoints qui maintiennent de bonnes relations mutuelles ont beaucoup moins de symptômes dépressifs et une meilleure satisfaction de vie, quelles que soient leur nouvelle situation maritale, leur personnalité et leur statut socio-économique.

Ce constat optimiste face à l’augmentation des divorces fait écho à un autre résultat présenté au congrès par une très jeune chercheuse de l'Université de Lausanne, Shagini Udayar, membre de l’IP207 consacré aux carrières professionnelles. Son étude, menée sous la direction du Prof. Jérôme Rossier, montre que les gens qui déclarent ressentir du soutien de la part de leur entourage deviennent progressivement plus extravertis, plus agréables et plus consciencieux, comme le montrent des mesures prises à quatre ans d’intervalle. La société et les structures familiales ont beau évoluer, les liens affectifs demeurent la première des ressources.

>> 15e Congrès de la Société suisse de psychologie