La femme n’est pas la seule victime du cancer du sein, une maladie qui recense près de 6000 cas et plus d’un millier de décès par an en Suisse. Comme dans toutes les affections potentiellement mortelles, l’entourage est mis à rude épreuve, le conjoint étant en première ligne. Mais sa souffrance à lui est rarement au centre des préoccupations. Afin de comprendre l’impact de ce mal sur le couple, une étude a été lancée en 2011 dans le cadre du Pôle de recherche national LIVES. Des données longitudinales ont ainsi été récoltées auprès de 80 femmes traitées au CHUV et 55 de leurs partenaires masculins. Sarah Cairo Notari, assistante à l’Unité de psychologie clinique des relations interpersonnelles de l’Université de Genève, les a analysées dans le cadre de sa thèse, « L’ajustement psychologique de la femme et de son partenaire au cancer du sein », grâce à laquelle elle a récemment accédé au grade de docteur en psychologie.
La détresse psychologique des hommes
Dans un premier papier, Sarah Cairo Notari a procédé à une revue systématique de la littérature scientifique sur la détresse psychologique des partenaires de femmes atteintes d’un cancer du sein, un champ encore peu investigué. La synthèse des 23 articles retenus montre que ce niveau de détresse est plus élevé chez ces hommes que dans la population générale. Cependant, « contrairement à une croyance assez répandue dans le domaine, [les partenaires] ne reportent pas des niveaux de détresse psychologique plus élevés que les patientes », relève la chercheuse.
Le fardeau subjectif du « partenaire-aidant »
Le partenaire est souvent le principal proche-aidant des femmes atteintes du cancer du sein, prenant en charge toute une série de tâches allant de l’aide pratique au soutien émotionnel en passant par les soins aux enfants, la gestion domestique, etc. L’étude a montré que le poids de ce fardeau est fortement lié aux conditions physiques et psychologiques de la patiente, et qu’il diminue par conséquent avec le temps et la rémission. Mais surtout, Sarah Cairo Notari a été en mesure de démontrer que plus le degré de satisfaction conjugale est élevé, moins lourd apparaît ce fardeau aux yeux des hommes, indépendamment des conditions médicales de leur compagne. Ces résultats seront prochainement présentés dans le Journal of Health Psychology.
Altération de l’image corporelle de la femme
La satisfaction conjugale joue aussi un rôle protecteur important et durable du côté des patientes en ce qui concerne les altérations de leur image corporelle. Les femmes ayant subi une mastectomie et/ou une chimiothérapie ont nettement moins de problèmes liés à leur apparence quand elles vivent une relation de couple jugée positive. Cette tendance s’est maintenue aux différents moments de l’étude, soit deux semaines, trois mois et un an après l’opération subie par les participantes à l’étude. Sarah Cairo Notari a également noté que les femmes vivant en couple mais non mariées rapportaient une altération de l’image corporelle plus importante que les femmes mariées. Les conclusions indiquent que « la satisfaction conjugale et le statut marital peuvent mitiger l’impact des traitements, en diminuant le niveau d’altération de l’image corporelle des femmes ».
Changements du fonctionnement sexuel
Un autre volet de l’étude s’est intéressé au fonctionnement sexuel des couples, les relations intimes étant reconnues comme une dimension importante de la qualité de vie. Pour cette partie, un entretien semi-structuré avec 75 participantes était réalisé par une infirmière membre de l’équipe lors d’une rencontre deux semaines après l’intervention chirurgicale, s’ajoutant au premier questionnaire écrit. Les données quantitatives indiquent que pour 64% des femmes interrogées, la maladie et le traitement ont entraîné une modification des relations sexuelles. 53% des patientes indiquent cependant toujours maintenir une vie sexuelle active, avec ou sans changement. Mais pour 29% des patientes, il s’agit d’un arrêt complet des rapports. Les données qualitatives ont permis de montrer que l’interruption de l’activité sexuelle n’était pas liée à des difficultés conjugales : pour 40% des femmes devenues inactives depuis l’opération, la sexualité a même été remplacée par un « sentiment accru d’intimité et de proximité », voire « un renforcement des liens affectifs ».
Le couple victime ET ressource
La détresse ressentie par les deux partenaires, la souffrance physique et psychologique de la femme, le fardeau subjectif qui pèse sur l’homme, ainsi que les modifications qui s’opèrent dans la vie intime montrent que le couple est bien victime de la maladie. Mais pas une victime impuissante, souligne Sarah Cairo Notari : « Le rôle de ressource de la relation de couple est sans doute l’aspect le plus important que nous avons pu mettre en évidence dans ce travail de thèse », écrit-elle à la fin de son manuscrit, ajoutant plus loin que ces résultats ont pu « confirmer le rôle protecteur d’une relation satisfaisante dans l’ajustement des femmes et de leur partenaire au cancer du sein. » Elle appelle donc à « veiller à la santé du couple, en plus de la santé de la femme », tout en reconnaissant que la nature complexe de la satisfaction conjugale rend difficile une intervention clinique de nature préventive.
La suite
De nouvelles publications scientifiques suivront bientôt la parution de cette thèse dirigée par le Prof. Nicolas Favez. Une quatrième vague de données, récoltées deux ans après l’annonce de la maladie, reste à analyser. Et des équipes françaises et belges s’intéressent à mettre leurs recherches respectives en commun avec le projet valdo-genevois.
« Ce travail ouvre toute une ligne de recherche », a déclaré Friedrich Stiefel, professeur à l'Université de Lausanne et chef du Service de psychiatrie de liaison du CHUV, lors de la soutenance publique de la thèse de Sarah Cairo Notari. Un autre membre du jury, le Prof. Darius Razavi de l’Université libre de Bruxelles, a quant à lui qualifié cette recherche de « merveilleuse étude » concernant « des personnes hautement vulnérabilisées ». Reste à trouver les ressources pour continuer. « Il est plus facile d’obtenir du financement pour les collectes de données que pour les analyses », regrette avec raison Nicolas Favez…
>> Cairo Notari, S.. (2016). L’ajustement psychologique de la femme et de son partenaire au cancer du sein. Sous la direction de Nicolas Favez. Université de Genève
Déjà publié :
>> Favez, N., Cairo Notari, S., Charvoz, L., Notari, L., Ghisletta, P., Panes Ruedin, B., Delaloye, J.-F.. (sous presse). Distress and body image disturbances in women with breast cancer in the immediate postsurgical period: The influence of attachment insecurity. Journal of Health Psychology.