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Enquête sur les trajectoires d’enfants placés en institution

Le Pôle de recherche national (PRN) LIVES a démarré une enquête rétrospective sur le parcours de vie de jeunes adultes ayant passé une partie de leur enfance dans un foyer de la Fondation officielle de la jeunesse à Genève. Est-ce que les situations de vulnérabilité vécues dans le passé ont encore des conséquences sur le présent ? Un des buts est d’identifier les zones d’action possible pour aider les enfants placés aujourd’hui à mieux maîtriser leur vie de demain.

Tout est parti d’une question de l’Inspection cantonale des finances du Canton de Genève : « On nous a demandé de fournir des indicateurs de performance », se souvient Olivier Baud, secrétaire général de la Fondation officielle de la jeunesse (FOJ). « Dans le domaine qui nous occupe, c’est un instrument difficile à manier, car nous savons très bien que notre action seule ne suffit pas. Il y a aussi la famille, l’école, l’apprentissage… Mais cela m’a titillé de ne pas être en mesure de savoir ce que nos anciens étaient devenus. »

Le secrétaire général de la FOJ a alors contacté Eric Widmer, professeur de sociologie à l’Université de Genève et spécialiste des réseaux familiaux. « Il était intervenu plusieurs fois dans des congrès ou des journées de réflexion de l’Association professionnelle pour l’éducation sociale et la pédagogie spécialisée Integras, et j’avais trouvé fascinante son approche par les constellations familiales, qui prend en compte toutes les personnes significatives dans un modèle qui ne se limite pas à papa-maman », explique Olivier Baud.

Du professeur Eric Widmer à LIVES, il n’y avait qu’un pas. Le chef de l’IP8 a immédiatement proposé de conduire ce projet dans le cadre du Pôle de recherche national qui a placé la problématique de la vulnérabilité et l’étude des parcours de vie au centre de son action.

Combler une lacune

Ce terrain permettra de combler une lacune. Comme le formule le projet de recherche, « on ne sait rien ou presque des trajectoires professionnelles et familiales des enfants placés. Arrivent-il à se raccrocher à un parcours « standard » (...) et à se constituer en tant qu’individus ayant des projets et une capacité à agir sur leur environnement ? »

Les premiers entretiens avec une douzaine d’ex-pensionnaires âgés de 18 à 33 ans ont commencé en novembre 2012. L’objectif est d’en retrouver 80 en tout d’ici le printemps prochain, répartis en deux groupes : la cohorte des 18-23 ans dont l’expérience de la FOJ est encore fraîche, et celle des 28-33 ans qui pourront donner des informations sur leur évolution à moyen terme. Pour ces deux groupes d’âges, l’étude s’intéresse à l’entrée dans la vie adulte d’un point de vue familial et professionnel, période cruciale du parcours de vie.

Trajectoire, réseau et sentiment de maîtrise

La première partie de l’entretien vise à décrire le réseau familial au sens large et subjectif, c’est à dire en incluant les affinités électives, afin de voir ce que chaque personne de l’entourage apporte comme soutien, où sont les ressources et les failles. A l’aide d’un calendrier de vie, les jeunes adultes retracent ensuite leur trajectoire factuelle, avec des indications sur les différents domaines de la vie (personnes composant le foyer d’habitation au fil des ans, relations affectives, formation, travail, activités non-professionnelles, problèmes de santé). La dernière étape de l’interview concerne les sentiments de maîtrise et de vulnérabilité des jeunes enquêtés, à l’aide d’une échelle permettant de situer entre autres leur niveau de bien-être et déceler d’éventuels symptômes dépressifs.

C’est Myriam Girardin, doctorante LIVES travaillant avec les professeurs Eric Widmer et Michel Oris, qui a été mandatée pour superviser cette enquête, de la mise en place du questionnaire jusqu’à la rédaction du rapport, attendu pour début 2014, en passant par la construction de la base de données et l'analyse de ces informations. Pour la partie terrain, elle bénéficie de la collaboration de la responsable pédagogique de la FOJ. Ensemble elles encadrent trois enquêtrices engagées pour le projet : deux psychologues et une éducatrice spécialisée. Ces cinq personnes sont habilitées à mener des entretiens. Quelques éducateurs de la FOJ pourront également être impliqués.

L’effet boule de neige

La chercheuse, tout comme le secrétaire général de la FOJ, reconnaissent que l’échantillon risque de représenter davantage les personnes bien intégrées socialement et stables psychologiquement que celles qui sont en rupture, plus difficiles à retrouver et à convaincre. Avec 300 places disponibles dans les internats de la FOJ, les ex-pensionnaires ne manquent pas, mais seuls très peu d’entre eux ont gardé des contacts avec leurs anciens éducateurs. L’étude est l’occasion de rouvrir les archives ; elle compte également sur l’effet boule de neige entre anciens camarades pour repérer la trace de potentiels participants.

« Donner la parole aux sans-voix »

Les premiers contacts ont suscité beaucoup de réactions positives, note Olivier Baud : « Ces jeunes adultes sont heureux qu’on s’intéresse à eux. De notre côté, nous nous réjouissons de pouvoir leur donner la parole, car ce sont souvent des ‘sans-voix’. On sait déjà qu’une enfance fragilisée, cela marque. Mais il y a aussi de beaux phénomènes de résilience. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir où sont les problèmes et où sont les ressources, afin qu’à l’avenir nous puissions travailler davantage sur les points où il y a le plus de manques. »