Soumis dans le cadre du Pôle de recherche national LIVES, un papier paru en ligne dans la prestigieuse European Sociological Review - à sortir dans sa version imprimée en 2013 - vient contredire la vision selon laquelle une « culture du chômage » rendrait celui-ci plus acceptable. Sur la base de données longitudinales suisses et allemandes, deux chercheurs de l’Université de Lausanne, le Prof. Daniel Oesch, membre de l’IP4 du PRN LIVES, et le Dr. Oliver Lipps, chercheur senior au Centre de compétences suisse en sciences sociales FORS, montrent que le bien-être des chercheurs d’emploi ne s’améliore pas à mesure que cet état se prolonge. Dans les régions où le taux de chômage est élevé, le niveau de bien-être des chômeurs est encore plus bas que celui des personnes au profil similaire vivant dans les régions où le taux de chômage est faible.
Controverse
Pour certains économistes, la motivation à retrouver du travail diminue quand le chômage devient une manière de vivre. Y être exposé longtemps ou vivre dans une région où le chômage est répandu finirait ainsi par le rendre acceptable. Pour inciter les gens à retrouver du travail, une solution serait donc de rendre le chômage moins attractif. La norme sociale n’étant plus suffisamment contraignante, il faudrait couper dans les prestations financières pour réactiver la volonté de travailler.
Or les deux chercheurs font le constat inverse. En Suisse et en Allemagne, l’étude montre que contrairement à d’autres événements critiques dans le parcours de vie, il n’y a aucun effet d’habituation au chômage.
Variations régionales et dans le temps
Les données suisses ont été collectées dans le cadre du Panel suisse de ménages entre 2000 et 2010, avec des taux de chômage allant de 1.5% pour la Suisse centrale jusqu’à 6.7% pour la région lémanique. En Allemagne, les données sont encore plus solides : la période couverte s’étend de 1984 à 2010 et les écarts de taux de chômage varient entre 2.3% et 22.4% selon les Länder.
Dans les deux cas, la baisse de la satisfaction de vie est nette. En Allemagne comme en Suisse, le niveau de bien-être subjectif chute de manière significative et durable avec l’expérience du chômage, et les chômeurs des régions à plus fort taux de chômage – Allemands de l’Est et Romands - enregistrent des niveaux de bien-être inférieurs que ceux des régions plus épargnées.
Multidisciplinarité
Daniel Oesch ne se dit pas vraiment surpris de ces résultats, mais tout de même content que l’effet d’habituation ne se confirme pas : « Les psychologues ont déjà montré que le chômage créait de la souffrance au niveau individuel, mais les économistes ont privilégié l’hypothèse que plus il y a de chômeurs, moins il y a de pression sur les chercheurs d’emploi. Quant aux sociologues, ils ont par trop abandonné le champ des inégalités et peu investi les études sur la satisfaction de vie. Nous commençons seulement à y voir plus clair. »
« La question du chômage est un des rares domaines où il y a la place pour autant de multidisciplinarité », se réjouit le chercheur, appelant de ses vœux l’intervention des politiques sociales. Car si son étude dit ce qu’il ne faut pas faire – durcir les conditions de vie des chômeurs -, elle ne fait qu’esquisser la question des solutions, soit la combinaison de programmes efficaces de réinsertion professionnelle avec des politiques macro-économiques qui facilitent la croissance et la création d’emplois.
