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Travaillant sur l‘insécurité de l’emploi, une doctorante gagne en confiance et trouve un job

Emily Murphy s’apprête à quitter le Pôle de recherche national LIVES après quatre années passées à l’IP4 – « Inégalités économiques: Vers des chemins pour sortir de la vulnérabilité ». Un des quatre articles qui composent sa thèse a déjà été publié par la prestigieuse Revue européenne de sociologie. Elle a maintenant été engagée par une spécialiste renommée du parcours de vie à l’Université de Zurich.

Au cours des vingt dernières années, plus de 20% des personnes qui travaillaient dans des métiers en déclin en Grande-Bretagne, Allemagne et Suisse ont retrouvé un emploi dans un secteur en expansion. Quels sont les profils des travailleurs et travailleuses qui risquent le plus de quitter une profession déclinante, et vers quels types de travail se tournent ils/elles ?

Telles sont certaines des questions auxquelles la doctorante LIVES Emily Murphy répond dans la recherche qu’elle a présentée en octobre 2014 lors de son colloque de thèse à l'Université de Lausanne, à quelques mois de la soutenance publique qui aura lieu en mars 2015. A noter que l’une des quatre parties qui composent sa thèse par articles a été publiée dans la European Sociological Review, ce qui n’est pas si courant à ce stade d’une carrière académique1.

Tenter de faire parler Emily Murphy de ses succès n’est pas chose aisée. Heureusement que d’autres s’en chargent volontiers ! Son directeur de thèse, Prof. Daniel Oesch, admire les qualités scientifiques de sa doctorante : « C’est une remarquable analyste, elle lit énormément et son écriture est limpide », retient-il.

Déclin des métiers traditionnels de production

Utilisant des données de panel et de recensement du Royaume-Uni, d’Allemagne, de Suisse et d’Irlande remontant jusque dans les années 70, Emily Murphy constate que les dernières décennies ont été marquées par le déclin de plusieurs métiers traditionnels dans les secteurs industriels et agricoles, principalement en ce qui concerne les hommes.

L’évolution technologique n’est pas seule en cause, avance-t-elle. La mondialisation et les régimes institutionnels pèsent aussi lourdement. L’entrée des femmes - en particulier de femmes plus qualifiées - sur le marché de l’emploi, l’augmentation de l’immigration et le développement de métiers dans le domaine des services (santé, commerce et technologies) ont largement contribué à ce changement structurel.

Inégalités de genre et de statut

Les métiers qui sont en progression ne sont pas forcément synonymes de meilleurs emplois, met en garde Emily Murphy. Passer d’un emploi en déclin à une profession montante concerne surtout les femmes, par exemple dans les soins paramédicaux, mais les métiers faiblement rémunérés sont la voie la plus probable, par exemple comme employées de maison, dans la vente ou la restauration. Les travailleurs masculins des secteurs industriel ou agricole ont plus de risque de tomber au chômage que les femmes employées de bureau, surtout en Grande-Bretagne et en Allemagne - moins en Suisse où les reconversions les plus probables vont vers des métiers en hausse mais à bas salaire.

Emily Murphy montre que les inégalités de genre et de statut demeurent vivaces. L’observation selon laquelle les femmes occupant les métiers les moins rémunérés dans le secteur des services connaissent rarement une mobilité ascendante est d’autant plus marquante concernant les migrantes, alors même qu’une bonne partie d’entre elles possèdent des niveaux de formation supérieurs aux autochtones engagées pour les mêmes tâches. Un autre motif de préoccupation réside dans le fait que les métiers où les femmes procurent 60% de la main-d’œuvre sont également ceux qui offrent les salaires les plus bas ; là où les femmes sont majoritaires, le niveau de revenu du travail baisse.

Besoin de formation continue

Une des conclusions importante de cette thèse est que les employé-e-s de bureau au niveau inférieur ou intermédiaire ont davantage de capacités à adapter leurs compétences aux exigences des métiers montants. « Ces personnes semblent connaître des transitions plus faciles en fonction de ce qui leur est demandé, parce que leur profession de départ paraît plus proche de ces nouveaux métiers », souligne Emily Murphy.

Ce constat en entraîne un autre, sous forme de conséquence pour les politiques publiques : le besoin de formation continue, tout particulièrement pour les travailleurs des secteurs primaires et secondaires, qui auraient besoin de développer de nouvelles aptitudes pour pouvoir s’adapter aux évolutions du marché de l’emploi. « C’est un aspect qui mériterait l’attention de la recherche », estime-t-elle.

Une carrière prometteuse

En plus d’avoir publié dans une revue prestigieuse, Emily Murphy a également réussi l’exploit d’être engagée comme post-doc avant même d’obtenir son doctorat… Depuis septembre, elle fait des va-et-vient entre Lausanne et l’Université de Zurich, où le Département de Sociologie lui a offert deux postes.

C'est Marlis Buchmann, chercheuse réputée, qui l'a intégrée dans l’équipe du Swiss Survey on Children and Youth (COCON), dont la prochaine vague de collecte de données commencera en 2015 avec les enfants de la plus jeune cohorte, âgés maintenant de 15 ans (ils en avaient 6 au début de l’enquête en 2006).

Et dès l’an prochain, Emily Murphy participera également au Stellenmarkt-Monitor Schweiz (SMM), projet qui vise à étudier l’évolution des exigences et des pratiques des employeurs lors des processus de recrutement, à l’aide d’une base de données remontant jusque dans les années 50.

Les compétences analytiques d’Emily Murphy feront certainement des merveilles à Zurich. Sur le plan personnel, le fait de rester en Suisse lui permettra de continuer à s’adonner au ski, qu’elle a découvert en quittant l’Irlande. Descendre et remonter la pente ne devrait plus l’effrayer, dans quelque domaine que ce soit.

  • 1. Murphy, E. (2014). Workers' movement out of declining occupations in Great Britain, Germany and Switzerland. European Sociological Review, 2014 30: 685-701.