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Sciences sociales et de la vie entrent en osmose dans un livre sur les trajectoires de santé

Première contribution de la série Springer Life Course Research and Social Policies à être publiée en accès libre en ligne grâce au soutien du PRN LIVES, l’ouvrage dirigé par Claudine Burton-Jeangros, Stéphane Cullati, Amanda Sacker et David Blane fournit un cadre théorique bienvenu ainsi que des exemples empiriques et des apports méthodologiques de choix dans un domaine d’étude en plein essor, entre épidémiologie sociale et sociologie de la santé.

Il en va des conditions sociales comme des crèmes anti-inflammatoires : elles pénètrent sous la peau et agissent sur les cellules du corps. Mais leurs effets sont plus durables, et pas forcément aussi bénéfiques. C’est ce que nous apprend l’épidémiologie du parcours de vie, au centre d’un livre collectif issu d’une collaboration entre le Pôle de recherche national LIVES et le International Centre for Life Course Studies in Society and Health (ICLS) de l’University College London.

Edité par la Prof. Claudine Burton-Jeangros et le Dr. Stéphane Cullati, tous deux membres du PRN LIVES à  l’Université de Genève, avec les professeurs Amanda Sacker et David Blane, deux sommités de l’ICLS, l’ouvrage vient enrichir ce champ encore relativement récent en élargissant l’analyse à la santé en général. Car jusqu’à présent, les publications sur le sujet s’étaient surtout consacrées à l’observation des maladies chroniques.

Comment le statut socio-économique peut-il produire des différences de classe en matière de santé et d’espérance de vie ? Comment, à l’inverse, l’état de santé pendant l’enfance va-t-il influencer les parcours scolaires puis professionnels ainsi que les relations affectives ? L’introduction des éditeurs décrit un domaine d’étude riche en perspectives et en constante évolution. Elle met également l’accent sur le besoin de développer des politiques publiques de prévention qui prennent en compte tous les domaines de la vie.

Suivent plusieurs chapitres qui décrivent l’état de la recherche, tant au niveau théorique qu’empirique.

L’obésité, fléau des temps modernes

Laura D. Howe, de l’Université de Bristol, en collaboration avec Riz Firestone, Kate Tilling et Debbie A. Lawlor, fait un état des lieux des connaissances actuelles sur les trajectoires d’obésité dans l’enfance et l’adolescence, ainsi que sur les transitions accompagnant la prise et la perte de poids. Considérée comme un des plus grand défis en matière de santé publique par l’Organisation mondiale de la santé, l’obésité touche 42 millions d’enfants de moins de 5 ans dans le monde, dont près de 31 vivent dans des pays en voie de développement. Ce fléau des temps modernes augmente les risques de diabète, de maladies cardiovasculaires et d’isolement social à l’âge adulte.

« L’étude des trajectoires d’adiposité chez les enfants représente ainsi un domaine d’étude où l’on espère pouvoir un jour déterminer non seulement la période d’âge durant laquelle les enfants sont le plus à risques de devenir obèses et de le rester, mais aussi dans quelles conditions sociales et familiales, et en fonction de quelles prédispositions biologiques », expliquent Stéphane Cullati et Claudine Burton-Jeangros.

Le sourire comme marqueur social

Autre domaine où l’environnement social et familial est déterminant, la santé bucco-dentaire fait l’objet d’un autre chapitre signé Anja Heilmann, de l’University College London, avec Georgios Tsakos et Richard G. Watt comme co-auteurs. Sources de multiples difficultés et souffrances à court, moyen et long terme, les problèmes de dents peuvent être prévenus par l’éducation mais leur traitement reste peu accessible aux couches les moins privilégiées de la population, et ne constituent guère une priorité pour les politiques.

D’autres maladies frappent les individus indépendamment de leurs conditions sociales. C’est le cas par exemple de la mucoviscidose. Et pourtant là aussi des différences importantes vont apparaître au cours de l’existence entre les patients socialement avantagés et ceux qui vivent dans un contexte moins favorisé. C’est ce que montrent David Taylor-Robinson, de l’Université de Liverpool, avec Peter Diggle, Rosalind Smyth et Margaret Whitehead.

Calculer et prédire les inégalités

Parmi les neuf contributions qui composent la matière du livre, trois sont consacrées à des enjeux méthodologiques de taille qui se présentent aux chercheurs désireux de mener des études longitudinales sur la santé dans une perspective parcours de vie. L’un de ces chapitres, préparé par une équipe genevoise ayant des liens avec le PRN LIVES, présente des modèles statistiques destinés à prendre en compte à la fois la stabilité et le changement. Paolo Ghisletta, Olivier Renaud, Nadège Jacot et Delphine Courvoisier démontrent comment ces méthodes permettent de mettre en relation les individus avec leur contexte et d’analyser les variations au fil du temps.

Interrogés au sujet des défis posés par l’épidémiologie du parcours de vie, Claudine Burton-Jeangros et Stéphane Cullati évoquent plusieurs limites actuelles qui restent à dépasser : avoir accès à des échantillons représentatifs de la population générale, et non pas seulement d’une sous-population de patients ; avoir à disposition des bases de données longitudinales suffisamment riches en données sur la vie familiale, professionnelle et les loisirs, sur les conditions de vie dans l’enfance, les comportements et l'état de santé (biomarkers inclus) ; renouveler ces enquêtes sur des cohortes différentes ; encourager le développement de modèles statistiques capables de traiter des grandes quantités de données répétées ; et enfin récolter également des données qualitatives lors d’entretien avec les participants, en complément aux données quantitatives collectées, afin de mieux saisir le sens donné par les individus à leurs trajectoires de santé, en lien avec des transformations dans leurs conditions de vie.

Protéger la vie de famille

Sur la base des connaissances déjà acquises, ces deux auteurs estiment que les politiques publiques devraient davantage protéger l’enfance et la vie familiale : « Assurer les meilleures conditions de vie à nos enfants, que ce soit durant la vie intra-utérine, la naissance, les premières années de vie, les premières phases du développement mental et physique, promouvoir une bonne insertion sociale durant l’adolescence, tous ces facteurs représentent des éléments déterminants pour une vie future en bonne santé. Toutefois, la promotion de la santé, qui dépasse largement le seul secteur des politiques de santé publique, n'est pas une priorité, comme l’a montré le refus récent en Suisse d'une loi sur la prévention », regrettent-ils.

>> Burton-Jeangros, C., Cullati, S., Sacker, A., & Blane, D..  (2015).  A life course perspective on health trajectories and transitions. Life course research and social policies (Vol. 4, p. 213). New York: Springer.

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