Des recherches en psychologie tentent de saisir sur le vif l’évolution des mentalités
En ce début de 21e siècle, la famille est un creuset incontournable de changement social. Pas étonnant dès lors qu’elle se soit retrouvée au cœur de plusieurs communications dans le cadre du 15e Congrès de la Société suisse de psychologie, les 4 et 5 septembre 2017 à l’Université de Lausanne, où le Pôle de recherche national LIVES a apporté de nombreuses contributions sur la qualité des relations, le bien-être et les normes en matière de famille moderne.
Les attitudes et opinions concernant la famille changent à une vitesse vertigineuse depuis quelques années, et la recherche s’y intéresse évidemment dans toutes sortes de disciplines des sciences sociales. C’est d’autant plus vrai en ce qui concerne la psychologie, qui a toujours accordé une place prioritaire aux relations familiales. Parmi les nombreux sujets abordés cette année par le Congrès de la société suisse de psychologie, la structure familiale a donc eu comme d’habitude une place de choix. Mais ce qui frappe, c’est à quel point il y a été question de mutations.
Le premier jour, la conférence publique de la Prof. Susan Golombok, directrice du Centre for Family Research à l’Université de Cambridge, a évoqué les nombreuses craintes que suscitent tant les transformations des structures familiales que les nouvelles possibilités d’avoir des enfants. Sur la base de nombreuses recherches menées auprès de familles atypiques ou ayant bénéficié d’aide à la procréation, elle montre que le bien-être psychologique des enfants n’est pas lié aux types de parent ou de conception, mais à la qualité des relations instaurées au sein de la famille.
Qu’il s’agisse de parents de même sexe, de foyers monoparentaux ou de personnes ayant recouru à la reproduction assistée, dans tous les cas les constats scientifiques recensés par Susan Golombok vont à l’encontre des peurs formulées par les tenants de la famille traditionnelle. Sponsorisée par le Pôle de recherche national LIVES et l’Interface Science-Société de l’Université de Lausanne, la conférence de Susan Golomboka a repris de nombreux exemples tirés de son best-seller Modern families: Parents and children in new family forms, paru en 2015.
Tout au long du congrès, qui a réuni plus de 250 chercheurs et chercheuses, les membres du PRN LIVES ont présenté vingt-trois papiers, dont douze sur la base de données récoltées au sein de projets spécifiques du pôle (IP201, IP207, IP212, IP213). S’ajoutant à des questions touchant au monde du travail ou au vieillissement, le thème de la famille était particulièrement bien couvert, avec plusieurs chercheuses s’intéressant à comprendre diverses facettes de l’évolution des structures familiales.
Egalité homme-femme en progression. Et en Suisse ?
La Prof. Clémentine Rossier, démographe de la famille à l’Université de Genève et responsable de l’IP208 du PRN LIVES, a présenté une recherche menée en collaboration avec Juliette Fioretta sur le bien-être des couples avec enfants qui adoptent des pratiques et attitudes de genre progressistes.
Comparant cinq pays (Allemagne, Belgique, France, Suède et Suisse), leur étude montre que les couples dont les opinions sont les plus égalitaires ont de bien meilleurs indicateurs de bien-être, quel que soit le pays observé. Ce résultat se comprend notamment parce que les couples qui ont des idéaux plus progressistes en matière de genre sont aussi plus favorisés socialement. Lorsqu’on examine l'égalité de genre dans la pratique - ici en s'intéressant aux couples où les deux conjoints travaillent à 100% - on retrouve les mêmes résultats : les couples à double pleins temps ont généralement des meilleurs indicateurs de bien-être.
La Suisse est le seul pays, parmi les cinq observés dans cette étude, où les couples dont les deux partenaires travaillent à temps plein ressentent davantage de difficultés financières et de santé que les couples où la femme est partiellement ou totalement retirée du marché du travail. Contrairement aux autres pays, les femmes qui travaillent à 100% en Suisse y semblent contraintes pour des raisons économiques, et cela au détriment de leur bien-être, dans un contexte très peu propice à la conciliation travail-famille. Les femmes de milieux plus privilégiés, qui sont favorisées par un travail à plein temps dans les autres pays, optent massivement pour un temps partiel en Suisse, par manque de structures institutionnelles appropriées en matière de garde d’enfants.
Cette observation est confirmée par le fait que la Suisse est aussi le pays présentant la plus grande proportion d’hommes ayant réduit leur temps de travail pour s’occuper des enfants (9%). Les chercheuses en concluent que « c’est donc bien la possibilité de mener de front vie professionnelle et vie familiale qui est au cœur du problème en Suisse, et non pas l’égalité de genre en matière de représentations ou d’autres pratiques ».
Opinions individuelles et normes sociales
Ce constat d’une évolution des mentalités pas encore totalement représentée dans les faits se retrouve dans une autre étude, très originale et prometteuse, qui a été présentée par Léïla Eisner, doctorante LIVES à l’Université de Lausanne sous la direction du Prof. Dario Spini. Sur la base d’une enquête menée auprès de 1105 personnes de tous milieux dans différentes localités du canton de Vaud, la jeune chercheuse en psychologie sociale s’est intéressée aux opinions des répondant·e·s sur les mères qui travaillent et les parents de même sexe, ainsi qu’à leur perception de ce qu’en pensent les autres.
Dans le cas des mères qui travaillent, ses résultats montrent des opinions plutôt neutres, les moins favorables étant les personnes les plus âgées et les moins qualifiées. L’analyse des différences entre les opinions personnelles et la norme perçue aboutit à de très faibles écarts : en d’autres mots, peu de gens pensent que leur position est très différente de ce qui est ressenti dans l’ensemble de la société. Cela tendrait à indiquer que le droit des femmes à mener une carrière est de moins en moins objet de débat et de plus en plus entré dans les mœurs.
Homoparentalité mieux acceptée qu'on ne croit
Par contre, concernant les opinions et les normes perçues à l’endroit des parents de même sexe, les analyses de Léïla Eisner montrent de grands écarts entre les opinions personnelles et l’image que se font les répondant·e·s de l’avis des autres. Seules 40% des personnes sondées se disent personnellement opposées à l’idée de familles homoparentales. Mais près du double estiment que la plupart des gens y sont défavorables. Ce qui est significatif également, c’est que les répondant·e·s les plus hostiles aux parents gays ou lesbiennes pensent que la société dans son ensemble est de leur avis, alors que les opinions individuelles montrent le contraire et sont dans les faits bien plus progressistes.
Or les personnes qui expriment le moins de désaccord avec le fait que des couples homosexuels puissent élever des enfants se considèrent fortement en minorité par rapport à l’opinion publique, alors qu’en réalité beaucoup plus de gens pensent comme elles qu’elles ne le croient. Une analyse des caractéristiques de ce groupe avant-gardiste, se sentant isolé mais finalement assez en phase avec l’évolution de la société, montre que les femmes, les personnes jeunes, celles se situant à gauche politiquement et les moins religieuses y sont surreprésentées. Alors que les hommes, les personnes âgées, les personnes se situant à droite et les personnes croyantes ont moins tendance à différencier leur propre opinion de celle des autres, se croyant majoritaires mais porteurs dans les faits d'un courant de pensée en déclin.
Les liens affectifs avant tout
Les transformations de la famille ont encore été au centre d’autres présentations, comme celles de l’équipe de la Prof. Daniela Jopp à l'Université de Lausanne sur les relations entre parents très âgés et leurs enfants âgés, un phénomène observable grâce à l’allongement de l’espérance de vie, ou encore la présentation de Jeanette Brodbeck, chercheuse en psychologie à l’Université de Berne et membre de l’IP212 du PRN LIVES. Son équipe a observé pendant six ans comment les individus surmontent la perte d’un·e partenaire à la suite d’un deuil ou d’un divorce en deuxième partie de vie. Le papier présenté au congrès montre que les ex-conjoints qui maintiennent de bonnes relations mutuelles ont beaucoup moins de symptômes dépressifs et une meilleure satisfaction de vie, quelles que soient leur nouvelle situation maritale, leur personnalité et leur statut socio-économique.
Ce constat optimiste face à l’augmentation des divorces fait écho à un autre résultat présenté au congrès par une très jeune chercheuse de l'Université de Lausanne, Shagini Udayar, membre de l’IP207 consacré aux carrières professionnelles. Son étude, menée sous la direction du Prof. Jérôme Rossier, montre que les gens qui déclarent ressentir du soutien de la part de leur entourage deviennent progressivement plus extravertis, plus agréables et plus consciencieux, comme le montrent des mesures prises à quatre ans d’intervalle. La société et les structures familiales ont beau évoluer, les liens affectifs demeurent la première des ressources.