Annick Ramp: « J'espère que mon travail sur Sandra suscitera de l'empathie chez les gens »
Basée à Zurich, la plus jeune lauréate de la bourse photo offerte par LIVES a choisi de consacrer son travail sur la vulnérabilité et la résilience à la réalisation de portraits d'une personne transsexuelle: Sandra. Son œuvre sera exposée durant les Journées photographiques de Bienne et une sélection de ses images est publiée dans un livre.
Parmi les trois femmes ayant participé au projet du Pôle de recherche national LIVES et des Journées photographiques de Bienne, Annick Ramp est la seule âgée de moins de 30 ans. Malgré son jeune âge, sa carrière de photographe est pourtant déjà bien établie. Celle-ci franchira une nouvelle étape avec l'exposition de ses portraits de Sandra, transsexuelle, à la 20e édition des Journées photographiques de Bienne, du 29 avril au 22 mai 2016. Quelques-unes de ces photos sont aussi publiées dans l'ouvrage Downs and Ups.
Annick Ramp travaille comme photographe à mi-temps pour la Neue Zürcher Zeitung. Elle explique avoir trouvé ainsi un bon équilibre, qui lui permet de poursuivre en profondeur des travaux plus personnels. Elle habite un quartier populaire à l’ouest de la gare de Zurich, un endroit qu'elle aime pour son atmosphère multiculturelle et détendue.
Son projet sur Sandra a été sélectionné pour illustrer la vulnérabilité et la résilience, car elle possède un véritable talent pour aborder les corps et les âmes avec un profond respect. Ses photos dépeignent une personne joyeuse, avec ses côtés sombres, un personnage complexe qui, malgré les traces laissées par de longs combats, a réussi à surmonter bien des épreuves. Nous avons interrogé Annick Ramp sur son approche.
Comment en êtes-vous venue à la photo?
Après l'école, j'ai fait un apprentissage commercial, mais j'ai très vite réalisé que cela ne me satisferait pas. Je savais que je voulais faire quelque chose en rapport avec la photo, mais je ne savais pas comment m'y prendre. C'est mon père qui m'a initiée en premier à la photographie. Puis, quand j'ai eu 19 ans, j'ai fait un voyage en Nouvelle-Zélande. Mes parents y avaient vécu pendant cinq ans et je suis née à Auckland, mais ils sont partis quand j'avais huit mois. Alors j'ai voulu découvrir l'endroit, y rencontrer les gens, et c'est là que j'ai commencé à prendre des photos. Elles étaient surtout concentrées sur les lignes, les paysages, mais pas vraiment sur les gens. De retour en Suisse, je me suis inscrite à une formation préalable en art, puis j'ai quitté Schaffhouse pour Zurich, où je savais que je voulais vivre. Pendant un an, j'ai étudié différents types d'art et de communication visuelle. Après cela, je me suis inscrite à la formation diplômante «Fotodesign» à Zurich. J'ai alors eu la chance de faire un stage d'un an avec un photographe, et là j'ai trouvé ce qui m'intéressait vraiment. C'est la photographie que je pratique aujourd'hui, axée sur les gens. Une fois mes études terminées, j'ai fait un autre stage à la Neue Zürcher Zeitung, où j'ai achevé ma formation et où j'ai eu la chance d'obtenir un poste.
Que recherchez-vous lorsque vous photographiez des personnes?
J'aime montrer différentes sortes de gens, différentes versions de la vie. Lors de mon premier stage, j'ai pris des photos d'un homme excentrique qui est assez connu à Schaffhouse et qui s'appelle Heinz Möckli. Pendant deux mois, je l'ai suivi partout, et j'ai pris conscience qu'il ne s'agissait pas seulement d'un travail. C'est une activité qui m'apporte beaucoup. J'adore observer la façon dont les êtres humains vivent dans leur environnement et les multiples façons qu'ils ont de le percevoir. Ce qui m'intéresse en particulier, ce sont les gens qui ne vivent pas comme tout le monde.
Comment avez-vous rencontré Sandra?
Pour mon travail de fin d'études, j'ai fait un reportage sur un établissement spécialisé, où séjournent de manière temporaire des personnes souffrant d'addictions, de maladies mentales ou d’autres sortes de fragilité. Un soir, Sandra était présente, et je l'ai revue ensuite à l'arrêt de bus. Je l'ai trouvée fascinante. Elle paraissait fragile et forte à la fois. On voyait qu'elle avait une certaine confiance en elle. Nous avons parlé, et elle s'est mise à chanter. Elle avait l’air d’une femme, mais avec quelque chose de masculin. Elle en a parlé ouvertement, mais elle a refusé de poser devant l'objectif. Après ça je l’ai toujours gardée en tête. J'ai essayé de la contacter par Facebook, mais elle n'a pas répondu. J'ai de nouveau essayé par l'intermédiaire du leader de son groupe de musique, qui m'a suggéré de venir à une répétition le jeudi. J'y suis allée, et elle s'est souvenue de moi. Je lui ai alors proposé de faire des portraits d'elle et elle a accepté. C'est ce que j'ai fait pendant deux ou trois mois, mais je ne savais pas comment je raconterais son histoire. C'est alors que j'ai reçu l'invitation du PRN LIVES et des Journées photographiques de Bienne. Le concept était né!
Dans cette série, quelle est la photo qui incarne le mieux selon vous le thème de la résilience?
Celle avec le brouillard: ce n'était pas du tout mis en scène. C’était pendant la répétition d'une pièce de théâtre et il y avait cette machine qui crée de la vapeur. J’ai saisi Sandra alors qu’elle était à côté. Parfois elle s’égare de la réalité ; elle s'enfuit ailleurs, rêve les yeux fermés. Cette photo m'a fait prendre conscience qu’il y a quelque chose à montrer au sujet de Sandra, et aussi qu'il faut du temps pour approcher ça.
Comment avez-vous procédé avec Sandra pour ce travail?
Je ne lui ai rien imposé. Je ne lui ai jamais dit : « Fais ci ou fais ça! ». On a passé des journées entières ensemble et c’était à moi de saisir les bons moments. Le plus difficile, pour moi, ensuite, n'a pas été de faire des choix, mais de limiter la série aux meilleures prises et de leur donner un ordre. Composer une série de photos est quelque chose qui me fascine. C'est vraiment intense. Je peux passer des semaines à déplacer des photos éparpillées au sol jusqu'à ce que je décide laquelle est vraiment indispensable, lesquelles expriment ce qui est juste. C'est aussi une question de respect pour mes sujets. J'ai montré ma sélection à Sandra et elle a accepté d'être vue aussi dans ses mauvais moments. Elle est tout à fait consciente de son histoire et du fait qu'elle n'est pas toujours de très bonne humeur. Il m'importait beaucoup qu'elle accepte mes choix, mais je ne l’ai pas laissée non plus m’influencer. J'espère que mon travail sur Sandra suscitera de l'empathie chez les gens. Je trouve bizarre que la société ordonne les choses en opposant constamment le masculin et le féminin.
Pour vous, qu’est-ce qu’une bonne image?
Tout d’abord il faut qu'elle me touche d’une manière ou d’une autre. J'ai besoin de sentir que le photographe l'a faite avec empathie, que le sujet n'est pas juste là pour faire une bonne image. J'aime les photos qui racontent quelque chose, qui provoquent de l’émotion et qui diffusent une part de poésie. J'aime regarder les photo en séries, parce que je trouve souvent difficile de comprendre quelque chose avec une seule image. Je pense qu’il peut y avoir plus de nuances si les photos se répondent l’une à l’autre.